Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome III.djvu/310

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comme j’y cachais autrefois mes douleurs. Là je veux errer solitaire ; là nul regard ne me rappellera mon bonheur immérité. Et, si par hasard une claire fontaine me montre dans son miroir limpide un homme, qui, merveilleusement couronné, repose rêveur, dans le reflet du ciel, au milieu des arbres, au milieu des rochers : il me semblera que je vois l’Élysée représenté dans ce miroir magique ; je me consulterai en silence et me demanderai qui peut être cette ombre, ce jeune homme des siècles passés, si gracieusement couronné. Qui me dira son nom, ses mérites ? J’attendrai longtemps, et je me dirai : « Oh ! s’il en venait un autre et un autre encore, pour se joindre à lui dans un agréable entretien ! Oh ! si je voyais les héros, les poëtes des jours antiques, rassemblés autour de cette fontaine ! Si je les voyais ici toujours inséparables, comme ils furent pendant leur vie étroitement unis !… » Comme l’aimant, par sa puissance, unit le fer avec le fer, la même tendance unit le héros et le poëte. Homère s’oublia lui-même ; toute sa vie fut consacrée à la contemplation de deux guerriers ; et Alexandre, dans l’Élysée, s’empresse de chercher Achille et Homère. Oh ! fussé-je auprès d’eux, pour voir ces grandes âmes désormais réunies !

Éléonore.

Réveille-toi ! réveille-toi ! Ne nous fais pas sentir que tu méconnais tout à fait le présent.

Le Tasse.

C’est le présent qui élève mes pensées. Je parais absent : je suis ravi !

La Princesse.

J’aime à voir que, dans ton commerce avec les génies, tu parles un langage humain, et j’ai du plaisir à l’entendre. (Un Page s’approche du Prince et lui parle bas.)

Alphonse.

Il est arrivé !… C’est bien à propos… Antonio !… Qu’il vienne !… Le voici.