Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome III.djvu/322

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nous. Il est encore des âmes sympathiques, qui se rencontrent et jouissent ensemble de ce bel univers. Il ne faut, mon ami, que changer un seul mot dans la devise : « Ce qui est convenable est permis. »

Le Tasse.

Ah ! si un tribunal universel, composé seulement d’hommes nobles et bons, décidait de ce qui convient, au lieu que chacun juge convenable ce qui lui profite !… Nous le voyons en effet, tout sied bien à l’homme puissant, à l’homme habile, et il se permet tout.

La Princesse.

Veux-tu apprendre parfaitement ce qui convient, ne le demande qu’aux nobles femmes ; car il leur importe plus qu’à personne, que tout ce qui se passe soit bienséant. La convenance entoure d’un rempart le sexe faible, aisément vulnérable. Où règne la moralité, les femmes règnent ; où domine la licence, elles ne sont rien ; et, si tu veux interroger l’un et l’autre, tu verras que l’homme aspire à la liberté, la femme à la décence.

Le Tasse.

Tu nous déclares indomptables, grossiers, insensibles ?

La Princesse.

Non pas ! Mais vous poursuivez des biens éloignés, et il faut que votre poursuite soit violente. Vous hasardez d’agir pour l’immortalité, tandis que nous ne pouvons posséder sur cette terre qu’un unique bien, étroitement limité, et nous souhaitons qu’il nous reste fidèle. Nous ne sommes jamais sûres du cœur d’un homme, avec quelque ardeur qu’il se soit donné à nous une fois. La beauté est passagère, et vous semblez n’avoir des hommages que pour elle. Ce qui reste ensuite ne charme plus, et ce qui ne charme plus est mort. S’il y avait des hommes capables d’apprécier un cœur de femme, de reconnaître quel précieux trésor d’amour et de fidélité le sein d’une femme peut recéler ; si le souvenir des heures les plus belles pouvait rester vivant dans vos âmes ; si votre regard, d’ailleurs pénétrant, pouvait aussi percer le voile que jette sur nous l’âge ou la maladie ; si la possession, qui doit rendre paisible, ne vous rendait pas désireux de biens étrangers : alors certes un