tenant me dévore moi-même, je ne puis m’en repentir, le bonheur de ma vie fût-il à jamais perdu. Je me suis dévoué à la princesse ; j’ai suivi avec joie le signe qui m’appelait à ma perte. Soit ! Je me suis du moins montré digne de la précieuse confiance qui me fortifie, qui me fortifie, à l’heure même où la porte noire d’un long avenir de deuil s’ouvre violemment devant moi !… Oui, c’en est fait ! Le soleil disparaît soudain avec la faveur la plus belle ; le prince détourne de moi son gracieux regard, et me laisse égaré dans un sentier étroit et sombre ; l’affreux volatile à la double nature, funeste satellite de l’antique Nuit, prend son essor et voltige autour de ma tête. Où donc, où porterai-je mes pas, pour fuir la hideuse troupe que j’entends frémir ; pour éviter l’abîme qui s’ouvre devant moi ?
Scène II.
Que s’est-il passé ? Cher Tasse, ton ardeur, ta défiance, ont-elles pu t’emporter ainsi ? Comment cela est-il arrivé ? Nous sommes tous consternés. Et ta douceur et tes manières prévenantes, ton coup d’œil rapide, la droite raison avec laquelle tu rends à chacun ce qui lui appartient ; ton humeur égale, qui supporte ce qu’une âme généreuse apprend bien vite à supporter, ce qu’une âme vaine apprend rarement ; ce sage empire sur ta langue et tes lèvres… Mon cher ami, j’ai peine à te reconnaître.
Et si tout cela était perdu maintenant ? Si un ami, que tu avais cru riche un jour, se trouvait être tout à coup comme un mendiant ? Tu as bien raison ; je ne suis plus moi-même, et pourtant je le suis aussi bien que je l’étais. Cela semble une énigme, et toutefois ce n’en est pas une. Cette lune paisible, qui te charme pendant la nuit, dont la lumière attire invinciblement tes yeux et ton cœur, elle passe pendant le jour comme un petit nuage, pâle et insignifiant. Je suis effacé par l’éclat du jour ; vous me connaissez : je ne me connais plus.