Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome III.djvu/361

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quand nous le savons heureux. Et cela ira bien ; je te vois satisfait. Tu ne partiras pas d’ici mécontent. Sur l’ordre du prince, Antonio te cherche, il condamne lui-même les paroles amères par lesquelles il t’a offensé. Je t’en prie, reçois-le de sang-froid, comme il viendra lui-même.

Le Tasse.

De toute manière, je puis me montrer devant lui.

Éléonore.

Et qu’avant ton départ, cher ami, le ciel m’accorde de te faire voir que personne, dans toute la patrie, ne te poursuit et ne te hait, ne t’opprime et ne te persécute secrètement ! Tu te trompes assurément, et, comme tu inventes souvent pour le plaisir des autres, tu inventes, hélas ! dans cette circonstance, une trame bizarre, pour t’affliger toi-même. Je veux tout faire pour la rompre, afin que tu puisses parcourir librement le beau chemin de la vie. Adieu, j’espère bientôt une heureuse réponse.



Scène III.

LE TASSE, seul.

Je devrais reconnaître que personne ne me hait, que personne ne me persécute ; que toute la ruse, toute la trame secrète est filée et ourdie uniquement dans ma tête ! Je devrais avouer que j’ai tort et que je fais tort à des gens qui ne l’ont pas mérité de moi ! Et cela, à l’heure où mon plein droit, comme leur malice, se montre clairement à la face du soleil ! Il faut que je sente profondément comme, d’un cœur ouvert, le prince m’assure sa faveur, m’en dispense les dons avec une large mesure, au moment où il est assez faible pour souffrir que mes ennemis lui obscurcissent la vue, et sans doute enchaînent aussi sa main ! Il est trompé, et il ne peut le voir ; ils sont les trompeurs, et je ne puis le prouver. Et seulement pour qu’il se trompe d’un cœur tranquille, pour que mes ennemis puissent le tromper à leur aise, je dois me taire, je dois même quitter la place ! Et qui me donne ce conseil ? Qui me presse sagement, avec un sentiment affectueux et fidèle ? Éléonore elle-même, Éléonore Sanvitale, la tendre amie ! Ah ! je te connais mainte-