Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome III.djvu/376

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de ton être. Il est autour de nous de nombreux abîmes, que le sort a creusés ; mais le plus profond est dans notre cœur, et c’est un charme de s’y plonger. Je t’en prie, arrache-toi à toi-même. L’homme y gagnera ce que perdra le poëte.

Le Tasse.

Je réprime vainement cette ardeur, qui s’agite jour et nuit dans mon sein. Si je ne puis ni méditer ni composer, la vie n’est plus une vie pour moi. Défends au ver de filer sa soie, quand même en filant il avance sa mort. De sa propre substance, il développe la trame précieuse, et ne cesse pas avant de s’être enfermé dans son tombeau. Ah ! veuille, quelque jour, un Dieu favorable nous accorder aussi le sort de l’insecte digne d’envie, de déployer, vifs et joyeux, nos ailes dans la vallée, aux rayons d’un nouveau soleil !

Alphonse.

Écoute-moi ! Tu sais doubler pour tant de mortels les jouissances de la vie : apprends, je t’en conjure, à connaître le prix de l’existence, que tu possèdes encore, riche de mille trésors. Adieu ! Plus tôt tu reviendras à nous, plus tu seras chez nous le bienvenu. (Il s’éloigne.)



Scène III.

LE TASSE, seul.

Courage ! Tiens ferme, mon cœur ! C’était bien ainsi ! Cela t’est difficile ; c’est la première fois que tu veux et que tu peux dissimuler ainsi. Tu l’as bien entendu : ce n’était pas son cœur ; ce n’était pas son langage. Il me semblait n’entendre encore que la voix d’Antonio. Oh ! prends garde ! Tu continueras à l’entendre ainsi de tous côtés. Courage ! courage ! Encore un moment de combat. Celui qui apprend tard à dissimuler conserve l’apparence de la franchise. Cela ira bien : exerce-toi seulement avec eux. ( Après une pause.) Tu triomphes trop tôt. Elle vient ici ! Elle vient, l’aimable princesse ! Oh ! quels sentiments ! La voici : le dépit et la défiance se changent en douleur dans mon sein.