Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome III.djvu/377

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Scène IV.

LA PRINCESSE, LE TASSE, et, vers la fin de la scène, les autres personnages.
La Princesse.

Ô Tasse, tu songes à nous quitter, ou plutôt tu restes à Belriguardo, et puis tu t’éloigneras de nous ? J’espère que c’est pour peu de temps. Tu vas à Rome ?

Le Tasse.

C’est là que je porterai d’abord mes pas, et, si mes amis m’accueillent avec bonté, comme j’ose l’espérer, là peut-être mettrai-je, avec soin et patience, la dernière main à mon poëme. Je trouverai rassemblés dans cette ville beaucoup d’hommes, qui, en tout genre, se peuvent appeler maîtres. Et dans cette ville, la première du monde, chaque place, chaque pierre, ne nous parlent-elles pas ? Quelle foule d’instituteurs muets nous attirent doucement avec une sérieuse majesté ! Si je n’achève pas en ce lieu mon poëme, je ne pourrai jamais l’achever. Mais, hélas ! déjà je le prévois, aucune entreprise ne me réussira. Je changerai mon ouvrage, et ne l’achèverai jamais. Oui, je le sens, l’art sublime, qui nourrit tout le monde, qui fortifie et restaure une âme saine, me détruira ; il me bannira. Je me hâte de fuir. J’irai bientôt à Naples.

La Princesse.

L’oseras-tu ? L’arrêt sévère qui t’a proscrit, en même temps que ton père, n’est pas encore aboli.

Le Tasse.

Ton avis est sage : j’y ai déjà pensé. J’irai déguisé ; je prendrai le pauvre vêtement du pèlerin ou du berger. Je me glisse à travers la ville, où le mouvement de la foule cache un homme aisément. Je cours au rivage, j’y trouve d’abord une barque avec de bonnes gens, des paysans, venus au marché, qui retournent chez eux, des gens de Sorrente : car je veux me hâter de passer à Sorrente. Là demeure ma sœur, qui fut avec moi la douloureuse joie de mes parents. Dans la barque, je reste tranquille, et, toujours silencieux, j’aborde au rivage ; je monte