Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome III.djvu/38

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ses esprits lui rapportent tout sans faute ; qu’il est peut-être en chemin pour nous surprendre…. qui pourra tenir devant sa colère ?… De honte, j’en serais atterré…. À chaque moment…. il me semble l’entendre, entendre le pas d’un cheval, le roulement d’une voiture. (Il court à la porte.)




LA MARQUISE, à part.

Ô comte, tu es un fripon inimitable ! tu es un maître affronteur ! Je t’observe sans cesse, et chaque jour je m’instruis avec toi. Comme il sait mettre à profit, comme il sait enflammer la passion de ce jeune homme ! comme il s’est emparé de toute son âme et le domine absolument ! Nous verrons si notre imitation réussira. (Le Chanoine revient.) Soyez sans inquiétude : le comte sait beaucoup de choses, mais il n’a pas la toute-science, et il n’apprendra pas cette fête…. Il y a quinze jours que je ne vous ai vu, que je n’ai vu nos amis ; pendant quinze jours, je me suis tenue cachée dans une misérable maison des champs ; j’ai dù passer bien des heures d’ennui, uniquement pour être dans le voisinage de notre princesse adorée, pour lui faire parfois ma cour en secret, pendant quelques moments, et l’entretenir des intérêts d’un homme chéri. Aujourd’hui, je retourne à la ville, et vous avez été fort aimable de m’avoir préparé un souper, à moitié chemin, dans cette agréable maison de campagne ; d’être venu à ma rencontre, et d’avoir assemblé mes meilleurs amis pour me recevoir. Assurément, vous êtes digne des bonnes nouvelles que je vous apporte. Vous êtes un chaud et agréable ami. Vous êtes heureux ; vous serez heureux. Je souhaiterais seulement que vous jouissiez aussi de votre bonheur.

LE CHANOINE.

Cela viendra bientôt ! bientôt !

LA MARQUISE.

Venez, asseyez-vous. Le comte est absent, pour passer dans la solitude ses quarante jours de jeûne et se préparer au grand œuvre ; il n’apprendra pas notre réunion, pas plus que notre grand secret. (Avec mystère.) Si l’on venait à découvrir, avant le temps, que la princesse pardonne, que vraisemblablement le prince se laissera bientôt fléchir par une fille chérie, comme tout ce bel édifice pourrait aisément s’écrouler par les efforts de l’envie ! La princesse, qui connaît votre liaison avec le comte,