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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome III.djvu/432

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L’abbé. Que dois-je dire ? Faut-il te l’avouer ? Tu n’y peux venir. Hélas ! ce corps défiguré…. aucun étranger ne le contemplerait sans douleur !… Et devant les yeux d’un père !… Non ! Dieu veuille t’en détourner ! Tu ne dois pas la voir.

LE DUC.

Quelle nouvelle torture me menace ?

L’abbé.

Oh ! laisse-moi me taire, afin que mes paroles mêmes n’outragent pas le souvenir de celle que tu as perdue ! Laisse-moi passer sous silence comme, traînée à travers les bois, à travers les rochers, défigurée et sanglante, déchirée et meurtrie et brisée, méconnaissable, elle fut relevée de terre dans mes bras. Alors, baigné de larmes, j’ai béni l’heure propice où je renonçai solennellement à la douceur d’être père.

LE DUC.

Tu ne l’es pas ? Tu es un de ces durs égoïstes, de ces hommes pervertis, qui livrent leur vie solitaire à un stérile désespoir ? Éloigne-toi ! Ta vue m’est odieuse.

L’abbé.

Je le sentais bien. Qui peut pardonner au messager d’un tel malheur ! (77 veut se retirer.)

LE DUC.

Pardonne et demeure. As-tu jamais contemplé avec extase une image, admirablement esquissée, qui s’efTorce merveilleusement de te reproduire toi-même à tes yeux ? Si tu avais eu ce bonheur, tu n’aurais pas cruellement mutilé cette figure, qui s’était développée, avec mille attraits divers, pour mon bonheur, pour les délices du monde ; tu n’aurais pas troublé pour moi la douceur de ce triste souvenir.

L’abbé.

Que devais-je faire ? te conduire auprès du cercueil, que mille larmes étrangères avaient déjà baigné, quand je consacrai ces membres affaissés et meurtris à la silencieuse pourriture ?

LE DUC.

Tais-toi, barbare ! tu ne fais qu’augmenter l’amère douleur que tu crois adoucir. O malheur ! les éléments, sur lesquels ne