Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome III.djvu/434

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mains se reposent ! A demi exécuté, ce plan doit s’arrêter soudain, comme mon bonheur. Mais le monument…. je veux le bâtir de pierres brutes, entassées sans ordre, pour m’y rendre en pèlerinage, y demeurer en silence, jusqu’au jour où je serai moimême enfin délivré de la vie. Oh ! laissez-moi y reposer pétrifié auprès de la pierre, jusqu’à ce que la trace visible de tout soin ait disparu de ce lugubre désert ! Que l’herbe couvre la place libre ; que le rameau s’entrelace confusément au rameau ; que le bouleau chevelu balaye la terre ; que le jeune arbrisseau s’élève en arbre, et que sa tige polie se couvre de mousse ; je ne sens plus la course du temps, car elle n’est plus, celle dont les progrès étaient pour moi la mesure des années.




L’abbé.

Éviter les tumultueux plaisirs du monde, embrasser l’uniformité de la vie solitaire, est-ce une chose que doive se permettre l’homme qui se livra souvent à une distraction bienfaisante, quand un malheur insupportable, venant à fondre, avec le poids d’un rocher, s’approche de lui et le menace ? Quitte ces lieux. Aussi prompt que la flèche, parcours les pays, les royaumes étrangers, afin que les tableaux de la terre passent devant tes yeux et te guérissent.

LE DUC.

Que chercherai-je dans le monde, si je ne retrouve pas celle qui était seule un spectacle pour mes regards ? Faut-il que rivières et collines, vallées et forêts et rochers passent devant mes yeux, pour n’éveiller en moi que le besoin de saisir cette image uniquement aimée ? De la haute montagne jusqu’à la vaste mer, que me fait la richesse de la nature, qui me rappelle ma perte et mon indigence ?

L’abbé.

Et tu amasseras de nouveaux trésors !

LE DUC.

Ce n’est qu’en passant par l’œil animé de la jeunesse que les objets dès longtemps connus reprennent la vie et nous émeuvent, lorsque l’étonnement, que nous avons depuis longtemps dédaigné, nous envoie, par une bouche enfantine, son gracieux retentissement. J’espérais ainsi lui montrer les plaines cultivées du royaume, les profondeurs des bois, le cours des rivières