Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome III.djvu/435

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jusqu’à la mer, et là, savourer, avec un amour immense, l’ivresse de son regard dans l’immensité.




L’abbé.

Excellent prince, si ton dessein n’est pas de consacrer à la contemplation les jours heureux de ta grande vie ; si l’activité pour le bien d’un peuple innombrable t’a donné, auprès du trône, outre l’avantage de la naissance, l’avantage plus magnifique d’une glorieuse et universelle influence, je t’adjure, au nom de tous : sois homme ! et fais que les tristes heures qui enveloppent ton horizon deviennent pour d’autres, par les consolations, les conseils et les secours, deviennent pour toi-même aussi des heures de féte !

LE DUC.

Qu’une telle vie est insipide et sans charme, quand tous nos efforts, toutes nos fatigues mènent incessamment à de nouvelles fatigues, à de nouveaux efforts, et qu’à la fin aucun but chéri ne nous récompense ! Je ne voyais ce but qu’en elle, et par là je possédais, et par là j’acquérais avec plaisir, pour lui créer un petit empire de gracieux bonheur. Alors j’étais serein, ami de tous les hommes, secourable, vigilant, disposé au conseil et à l’action. « Ils aiment le père, me disais-je ; ils ont des obligations au père, et un jour ils salueront aussi la fille comme une digne amie. »

L’abbé.

Il ne reste point de temps aujourd’hui pour des soins si doux. De tout autres te réclament, ô grand prince. Oserai-je le rappeler, moi, le plus humble de tes serviteurs ? Dans ces tristes jours, tous les regards sérieux se tournent vers ton mérite, vers ta force.

LE DUC.

L’homme heureux lui seul se sent du mérite et de la force.

L’abbé.

Les angoisses brûlantes de si profondes douleurs assurent au moment une valeur infinie et à moi le pardon, si l’intime confiance ose couler de mes lèvres. Avec quelle violence une sauvage fermentation bouillonne dans les bas-fonds ; comme la faiblesse se maintient à peine en chancelant sur le faite, chacun ne le voit pas clairement, mais tu le vois mieux que la foule, à