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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome III.djvu/443

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rude chute m’avait abattue et paralysée ; soudain je revins à moi ; je reconnus ce bel univers ; je vis le médecin occupé à rallumer le flambeau de ma vie ; je la retrouvai dans le regard tendre, dans la voix de mon père : maintenant, pour la seconde fois, je m’éveille d’une chute plus rude encore ; ce qui m’environne me semble étranger et fantastique ; le mouvement de ce peuple et même ta bonté me semblent un songe.

LE CONSEILLER.

Lorsque des étrangers sont sensibles à notre position, ils sont plus près de nous que nos proches, qui souvent considèrent légèrement notre chagrin, avec une indolente habitude, comme un mal bien connu. Ta situation est dangereuse. Qui osera même décider si elle n’est point sans remède ?

EUGÉNIE.

Je n’ai rien à dire. Les hommes puissants qui ont fait mon malheur me sont inconnus. Tu as parlé à cette femme : elle sait tout. Moi, je ne fais que souffrir, pour aboutir à la démence.

LE CONSEILLER.

Quelque motif qui ait attiré sur toi le violent décret du pouvoir suprême, c’est une faute légère, une erreur, que le hasard peut rendre funeste…. L’estime reste, l’affection parle pour toi.

EUGÉNIE.

Avec la conscience fidèle d’un cœur pur, je réfléchis à l’influence des fautes légères.

LE CONSEILLER.

Broncher dans la plaine est peu de chose : un faux pas précipite des hauteurs.

EUGÉNIE.

Je planais sur ces hauteurs avec ravissement. L’excès de la joie m’a égarée. Je touchais déjà, par la pensée, à mon bonheur prochain ; déjà un gage précieux reposait dans mes mains. Un peu de calme seulement, un peu de patience, et, je dois le croire, tout m’appartenait. Mais je me suis trop hâtée ; je me suis abandonnée soudain à une tentation pressante…. Fut-elle la cause ?… J’ai vu, j’ai dit, ce qu’il m’était défendu de voir et de dire. Une faute si légère est-elle si durement punie ? Une défense, qu’il paraissait loisible d’enfreindre, qui semblait une épreuve badine, condamne-t-elle sans ménagement le transgresseur ? Elle est