Aller au contenu

Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome III.djvu/444

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

donc vraie la tradition incroyable que nous transmettent les peuples ? La frivole et courte jouissance de manger une pomme a causé au monde entier des maux infinis. Pour moi, une clef m’avait été confiée ; j’osai ouvrir des trésors défendus, et j’ai ouvert mon tombeau.




LE CONSEILLER.

Tu ne trouveras pas la source du mal, et, fût-elle trouvée, elle coulerait toujours.

EUGÉNIE.

Je la cherche dans des fautes légères, et, par une vaine illusion, je m’accuse de si grandes douleurs. Porte plus haut, plus haut tes soupçons. Les deux hommes auxquels j’espérais devoir tout mon bonheur, ces hommes éminents, .semblaient se tenir par la main. La discorde intérieure de partis incertains, qui s’est éveillée seulement dans de sombres cavernes, éclatera bientôt peut-être au grand jour, et ce qui ne fut d’abord autour de moi que des craintes et des alarmes se prononce en me détruisant, et menace d’anéantir le monde entier.

LE CONSEILLER.

Que je te plains ! Sous l’influence de ta douleur, tu présages le sort d’un monde. Et la terre ne te semblait-elle pas joyeuse et fortunée, lorsque, heureuse enfant, tu marchais sur les fleurs ?

EUGÉNIE.

Qui l’a vu, plus ravissant que moi, le bonheur de la terre avec toutes ses fleurs ? Hélas ! autour de moi tout était riche, abondant et pur ; ce qui est nécessaire à l’homme semblait dispensé à plaisir, à profusion. Et à qui devais-je ce paradis ? Je le devais à l’amour paternel, qui, veillant aux plus petites choses comme aux plus grandes, semblait m’accabler, avec prodigalité, sous les jouissances du luxe, et formait en même temps mon corps et mon esprit à porter tant de biens. Tandis que toutes les vanités de la mollesse m’environnaient, pour me bercer dans les délices, une ardeur chevaleresque m’appelait au dehors à lutter avec le péril, à cheval et en voiture. Souvent je soupirais après les vastes lointains, après les espaces merveilleux et nouveaux de pays étrangers ; mon noble père me promettait de m’y conduire ; il promettait de me conduire à la mer ; il espérait