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LA GAGEURE.

connais trop bien ; il est trop vain pour cela. Il a une trop haute idée de son mérite et il ne cédera pas.

Dorn.

J’en serais fâché. Il faudrait qu’il aimât peu ma fille, qu’il eût peu d’âme et de sentiment, qu’il n’eût aucune énergie, pour persister plus longtemps dans ce pénible état.

Foerster.

Éléonore ne pourrait-elle pas également… ?

Dorn.

Non, mon ami. Les femmes ont, par modestie, une certaine réserve, qui est leur plus bel ornement ; elle les empêche de manifester leurs sentiments, et elles les feront d’autant moins paraître si leur vanité est en jeu, comme dans cette gageure. Elles peuvent souffrir les dernières extrémités, avant de sacrifier cet orgueil ; elles trouvent au-dessous de leur dignité de montrer à un homme combien elles lui sont attachées, comme elles l’aiment tendrement ; elles sentent au fond aussi vivement que nous, peut-être avec plus de constance, mais elles sont plus maîtresses de leur inclination.

Foerster.

Tu peux avoir raison ; mais sachons premièrement ce que fait Ëléonore, et nous pourrons avancer plus sûrement dans nos suppositions.

Dorn.

Parle donc, Frédérique.

Frédérique., Elle s’avance.

Messieurs, je crains beaucoup pour la santé de ma maîtresse.

Dorn., vivement.

Est-elle malade ?

Frédérique.

Pas précisément, mais elle ne peut ni manger ni dormir ; elle se promène de côté et d’autre comme une ombre ; elle n’a aucun goût à ses occupations favorites, ne touche pas sa guitare, sur laquelle elle avait coutume d’accompagner Edouard, ne va pas non plus, comme d’ordinaire, chantonnant une petite chanson.