Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IV.djvu/130

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ces beaux messieurs est déjà, je le vois, passé chez vous en maxime[1].

LE DIRECTEUR.

Un tel reproche ne peut m’atteindre. Un homme qui se propose de bien travailler doit tenir au meilleur outil. Songez que vous avez à couper du bois tendre, et voyez, sans plus, pour qui vous écrivez. Si l’un est poussé par l’ennui, l’autre arrive rassasié d’un copieux repas ; et, ce qui est plus fâcheux que tout le reste, un grand nombre vient de lire le journal. On accourt chez nous distrait, comme à la mascarade, et la seule curiosité met des ailes aux pieds de chacun. Les dames étalent leur personne et leur toilette, et jouent de concert avec nous sans salaire. Que rêvez-vous à votre dignité de poète ? Quel plaisir peut vous faire une salle pleine ? Observez de près nos amateurs : la moitié sont froids, la moitié sont grossiers. L’un, après le spectacle, espère une partie de cartes’ ; l’autre, une nuit de débauche dans les bras d’une maîtresse. Pauvres fous, à quoi bon tant importuner, pour un tel dessein, les douces Muses ? Je vous le dis, donnez davantage, et toujours, toujours davantage : comme cela, vous ne pourrez jamais vous écarter du but. Cherchez seulement à intriguer les gens : les satisfaire est difficile…. Qu’est-ce qui vous prend, extase ou douleur ?

LE POÈTE.

Va te chercher un autre valet ! Eh quoi ! le droit suprême, le droit qu’en sa qualité d’homme il tient de la nature, le poète devrait, pour te complaire, le sacrifier indignement ? Comment parvient-il à remuer tous les cœurs, à triompher de tous les éléments ? N’est-ce pas avec l’harmonie, qui s’élance de son sein et qui relie l’univers à son cœur ? Quand la nature, tournant sous ses doig.ts, avec indifférence,-le fil éternel, l’enroule autour du fuseau ; quand la multitude confuse de tous les êtres résonne pêle-mêle avec discordance, qui divise ce courant, toujours uni* forme, en le vivifiant, afin qu’il se meuve avec harmonie ? Qui appelle l’individu à la consécration universelle, où il vibre en accords magnifiques ? Qui déchaîne l’orage des passions ? Qui allume les feux du crépuscule dans la pensée sérieuse ? Qui sème

  1. Gœthe a ici en vue l’école réaliste, dont Kotzebue était le chef.