Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IV.djvu/135

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t’enquérir comment tout va chez nous, et que d’ailleurs tu me voyais d’ordinaire avec plaisir, tu me vois encore parmi tes gens. Pardonne, je ne sais pas débiter de grands mots, quand même toute l’assistance se raillerait de moi ; mon pathos te ferait rire assurément, si tu n’avais perdu l’habitude de rire. Du soleil et des mondes, je ne sais qu’en dire : je vois seulement comme les humains se tourmentent. Le petit dieu du monde est toujours du même acabit, et il est aussi bizarre que le premier jour. Il mènerait une vie un peu meilleure, si tu ne lui avais donné le reflet de la lumière céleste : il l’appelle raison et ne l’emploie qu’à se montrer plus brutal que la brute. Il me semble, avec la permission de Votre Seigneurie, comme une de ces cigales aux longues jambes, qui toujours vole et saute en volant, et chante sans trêve dans l’herbe sa vieille chanson. Encore, s’il pouvait seulement rester dans l’herbe !… Il fourre son nez dans toute chose immonde.

LE SEIGNEUR.

N’as-tu rien de plus à me dire ? Ne viens-tu jamais que pour accuser ? N’est-il selon toi absolument rien de bon sur la terre ?

MÉPHISTOPHÉLÈS.

Non, Seigneur, je trouve, comme toujours, que les choses y vont fort mal. Les hommes me font pitié dans leur misérable vie, et je n’ai pas moi-même le courage de tourmenter ces pauvres gens.

LE SEIGNEUR.

Connais-tu Faust ?

MÉPHISTOPHÉLÈS.

Le docteur ?

LE SEIGNEUR.

Mon serviteur !

MÉPHISTOPHÉLÈS.

Vraiment il vous sert d’une étrange manière ! Il n’use, l’insensé, ni de boisson ni de nourriture terrestre ; l’inquiétude le pousse dans l’espace ; il connaît à moitié sa folie ; il demande au ciel les plus belles étoiles et à la terre les plus sublimes jouissances, et tout ce qui est proche, tout ce qui est éloigné ne satisfait point son cœur profondément agité.