Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IV.djvu/136

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LE SEIGNEUR.

S’il me sert aujourd’hui, tout égaré qu’il est, je le conduirai bientôt à la lumière. Le jardinier sait bien, quand l’arbrisseau verdit, qu’il sera, les années suivantes, paré de fleurs et de fruits.

MÉPHISTOPHÉLÈS.

Gageons que vous perdrez encore celui-là, si vous me donnez la permission de le mener doucement dans ma voie !

LE SEIGNEUR.

Aussi longtemps qu’il vivra sur la terre, aussi longtemps je ne t’en ferai point défense. L’homme s’égare tout le temps qu’il désire.

MÉPHISTOPHÉLÈS.

En ce cas, je vous remercie, car je ne m’attaquerai jamais volontiers aux morts. J’aime surtout les.joues pleines et fraîches ; pour un cadavre, je ne suis pas au logis ; il en est de moi comme du chat avec la souris.

LE SEIGNEUR.

Soif ! Je te l’abandonne. Détourne cet esprit de sa source première ; si tu peux le saisir, entraîne-le dans ta voie ; et sois confondu, lorsqu’il te faudra reconnaître qu’avec son instinct aveugle, un homme bon sait distinguer le droit chemin.

MÉPHISTOPHÉLÈS.

Fort bien ! Mais cela ne dure pas longtemps. Je ne suis pas du tout inquiet de ma gageure. Si je parviens à mon but, permettez-moi de triompher à cœur joie. Je veux qu’il mange la poussière et avec délices, comme mon cousin, le fameux serpent.

LE SEIGNEUR.

En cela tu pourras aussi te montrer librement. Je n’ai jamais haï tes pareils. De tous les esprits qui nient, le rusé est celui qui m’est le moins à charge. L’activité de l’homme peut trop aisément s’endormir ; il se complaît bientôt dans un repos absolu : aussi je lui donne volontiers un compagnon, qui stimule, qui opère, et qui, en qualité de diable, doit agir. Mais vous, véritables fils des dieux, jouissez de la beauté magnifique et féconde. Que la substance éternellement active et vivante vous enlace