Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IV.djvu/141

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me suis adonné à la magie, pour voir si, par la force et la parole de l’esprit, quelques secrets ne me seraient point révélés, en sorte que je n’aie plus besoin de dire, avec des sueurs d’angoisse, ce que je ne sais pas ; que je reconnaisse ce qui maintient l’univers dans ses profondeurs ; que je contemple toutes les forces actives et les germes, et ne fasse plus trafic de paroles.

Oh ! si tu voyais ma souffrance pour la dernière fois, lune brillante, qui m’a trouvé si souvent à minuit, veillant à ce pupitre ! Alors, ma triste amie, c’est sur les livres et le papier que tu m’es apparue ! Ah ! si je pouvais sur les cimes des montagnes marcher à ta douce clarté, planer avec les esprits autour des cavernes; à la faveur de tes pâles rayons, courir dans les prairies, et, délivré de toutes les fumées de la science, me baigner et trouver la santé dans ta rosée !

Hélas ! suis-je encore enchaîné dans la prison ? Maudit et sombre trou de muraille, où même l’aimable lumière du ciel perce tristement à travers les vitres peintes ! Bloqué par ce monceau de livres, que les vers dévorent, que la poussière couvre, que des papiers enfumés pressent de toutes parts jusqu’à la voûte ; entouré de verres, de boîtes, embarrassé d’instruments, encombré des meubles de tes ancêtres !… voilà ton monde !… voilà ce qui s’appelle un monde !

Et tu demandes encore pourquoi ton cœur se serre avec angoisse dans ta poitrine ; pourquoi une mystérieuse douleur arrête chez toi tout mouvement de vie ? Au lieu de la nature vivante, au sein de laquelle Dieu créa les hommes, tu ne vois rien autour de toi, dans la fumée et la moisissure, que des squelettes d’animaux et des ossements de morts.

Fuis, lève-toi, va courir le monde ! Et ce livre mystérieux, de la propre main de Nostradamus, n’est-il pas pour toi un guide suffisant" ? Tu connaîtras alors le cours des astres, et, si la nature t’éclaire, les facultés de ton Ame s’élèveront jusqu’à comprendre comment un esprit parle à un autre esprit. C’est vainement qu’un sens aride ici t’explique les signes sacrés…. Esprits, vous voltigez auprès de moi : répondez-moi, si vous m’entendez ! (Il ouvre le livre et rencontre le signe du macrocosme[1].)

  1. Terme de la philosophie scolastique, qui signifiait l’univers, par opposition à l’homme, qu’on appelait le microcosme.