Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/111

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Alors je me rappelai ce que j’avais vu écrit à Ratisbonne, contre la fenêtre de l’auberge :

Comme "les pêches et les melons
Sont pour la bouche d’un baron,
Ainsi les verges et les bâtons
Sont pour les fous, dit Salomon ’.

Il est évident que cela fut écrit par un baron du Nord, et il est aussi naturel de croire que ses idées changeraient dans ce pays.

A la foire de Botzen, il se fait un grand commerce de soie ; on y apporte aussi des tissus et tous les cuirs fabriqués dans les montagnes. Mais beaucoup de marchands viennent surtout pour encaisser des fonds, pour recevoir des commandes et faire de nouveaux crédits. J’avais grande envie de passer en revue tous ces produits qui se trouvaient là rassemblés ; mais la presse, l’inquiétude, qui me talonnent, ne me laissent pas de reMche, et je me hâte de repartir. D’ailleurs, ce qui me rassure, c’est que, dans notre âge statistique, tout cela est sans doute déjà imprimé, et qu’on peut s’en instruire à son aise dans les livres. Je ne cherche maintenant que des impressions sensibles, qu’aucun livre, aucun dessin, ne procure. Il s’agit de reprendre intérêt au monde extérieur, d’essayer et d’éprouver mon esprit d’observation ; de constater jusqu’où s’étendent mon savoir et mes connaissances, si mon œil est clairvoyant, pur et vif, le nombre d’objets que je puis saisir à la volée, et si les plis qui se sont formés et imprimés dans mon esprit se peuvent encore effacer. A présent, que je me sers moi-même, que je dois être toujours attentif, toujours alerte, ce peu de jours m’ont déjà donné une tout autre élasticité d’esprit ; il faut que je m’informe du cours de l’argent, il me faut changer, compter, noter, écrire, tandis qu’auparavant je me bornais à penser, à vouloir, à réfléchir, à commander et à dicter.

Il y a neuf milles de Botzen à Trente, dans une vallée de plus en plus fertile. Tout ce qui essaye de végéter sur les hautes montagnes a déjà ici plus de force et de vie. Le soleil est brûlant, et l’on recommence à croire en Dieu. Une pauvre femme


1. Ces rimes sont en français dans l’original»