Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/113

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Trente, 10 septembre 1786, le soir.

J’ai parcouru la ville ; elle est fort vieille, mais, dans quelques rues, elle a des maisons neuves, bien bâties. On voit dans l’église un table.iu représentant le concile assemblé qui entend un sermon du général des jésuites. Je voudrais bien savoir ce qu’il leur a donné à garder. L’église de ces pères se signale d’abord par les pilastres en marbre rouge de sa façade ; un pesant rideau couvre la porte pour arrêter la poussière. Je l’ai levé et je suis entré dans un petit porche : l’église elle-même est fermée par une grille en fer, mais de telle sorte qu’on peut la voir tout entière. Tout était mort et silencieux, car on n’y célèbre plus le service divin. Si la première porte était ouverle, c’est que, le soir, toutes les églises doivent l’être.

Comme j’étais là à méditer sur l’architecture, que je trouvais semblable aux autres églises de l’ordre, entra un vieillard, qui ôta aussitôt sa cape noire. Son vieil habit noir grisonnant annonçait un pauvre ecclésiastique. Il s’agenouille devant la grille, et, après une courte prière, il se relève. En se retournant, il se dit à demi-voix : « Fort bien, ils ont chassé les jésuites : ils auraient dû leur payer aussi ce que l’ùglise leur a coulé. Je le sais moi, ce qu’elle leur a coûté et le séminaire. Que de milliers d’écus ! » Cependant il était sorli, et derrière lui était tombé le rideau, que je soulevai un peu, puis je demeurai immobile. L’homme s’était arrêté au-dessus des degrés et il dit : « Ce n’est pas l’empereur qui a fait cela : c’est le pape. » Le visage tourné vers la rue, et sans prendre garde à moi, il poursuivit : « D’abord les Espagnols, puis nous, puis les Français. Le sang d’Abel crie contre son frère Caïn ! » Après cela, il descendit l’escalier, en continuant de se parler à lui-même. C’est probablement un homme que les jésuites soutenaient, à qui la chute prodigieuse de l’ordre a fait perdre la raison, et qui vient tous les jours chercher dans l’église vide ses anciens habitants, et, après une courte prière, maudire leurs ennemis.

Un jeune homme, que j’interrogeai sur les curiosités de la ville, me montra une maison, qu’on appelle la maison du diable, et que le malin esprit, d’ailleurs si prompt à détruire, doit avoir bAtio en une nuit, de pierres diligemment apportées. Mais le