Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/118

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Cela me mit de l’humeur la plus joviale ; aussi quand le podestat survint avec son greffier, je le saluai cordialement, et, lorsqu’il m’eut demandé pourquoi je dessinais leur forteresse, je lui répondis d’un ton modeste que je ne pouvais prendre ces murailles pour une forteresse. Je lui fis observer, ainsi qu’au peuple, la décadence des tours et des murs, l’absence de portes, le manque de tout moyen de défense, et je lui assurai que je n’avais cru voir et dessiner là qu’une ruine.

1. Allusion à une pelite pièce que (joethe avait donnée pour l’amusement de Weimar.

On me répliqua : « Si ce n’était qu’une ruine, que pouvaitelle offrir de remarquable ? » Comme je désirais gagner du temps et de la faveur, je répondis avec beaucoup de détail qu’ils devaient savoir combien de voyageurs se rendaient en Italie uniquement pour les ruines ; Rome, la capitale du monde, ravagée par les barbares, était remplie de ruines qu’on avait dessinées cent et cent fois ; tous les monuments de l’antiquité n’étaient pas aussi bien conservés que l’amphilhéâtre de Vérone, que j’espérais aussi voir bientôt.

Le podestat, qui était debout devant moi, mais plus bas, était un homme d’une taille allongée sans être fort maigre. Il pouvait avoir trente ans. Les traits émoussés de son visage sans expression répondaient tout à fait à la manière lente et confuse avec laquelle il m’interrogeait. Le greffier, moins grand et plus habile, parut néanmoins, au premier moment, aussi embarrassé d’un cas si nouveau et si étrange. Je dis encore bien des choses dans le même sens. On paraissait m’écouter avec plaisir, et, m’étant tourné vers quelques visages de femmes bienveillants, je crus y découvrir l’assentiment et l’approbation. Mais, quand je mentionnai l’amphithéâtre de Vérone, connu sous le nom d’Arène dans le pays, le greffier, qui avait eu le temps de se recueillir, dit que c’était fort bien, parce que c’était un édifice romain, célèbre dans tout le monde, mais que ces tours n’avaient rien de remarquable, si ce n’est qu’elles indiquaient la limite entre le territoire de Venise et l’empire d’Autriche. Je répondis avec détail qu’après les antiquités grecques et romaines, celles du moyen âge méritaient aussi l’attention. Je ne pouvais faire un reproche aux habitants de Malsesine, accoutumés dès l’enfance à cet édifice, de ne savoir pas y découvrir autant que moi de beautés pittoresques.