Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/119

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Le soleil levant vint très à propos éclairer de la plus belle lumière la tour, les rochers et les murailles, et je me mis à leur décrire ce tableau avec enthousiasme. Mais, comme mon public avait à dos ces objets vantés, et qu’il ne voulait pas s’éloigner, de moi,.toutes les têtes se tournèrent soudain, comme font ces oiseaux qu’on nomme torcols, afin de contempler de leurs yeux ce que l’on vantait à leurs oreilles ; le podestat lui-même se tourna, quoique avec plus de dignité, vers l’objet décrit. Cette scène nous parut tellement risible, que ma bonne humeur s’en accrut, et que je ne leur fis grâce de rien, et surtout du lierre qui, depuis des siècles, avait eu le temps de couvrir le rocher et les murs de la plus riche décoration.

Le greffier répliqua que cela était bel et bon, mais que l’empereur Joseph était un prince remuant, qui avait sans doute encore quelques mauvais desseins contre la république de Venise, et que je pourrais bien être son sujet, un émissaire chargé d’observer les frontières. * Bien loin d’appartenir à l’empereur, m’écriai-je, je puis me vanter aussi bien que vous d’être citoyen d’une république, qui, sans pouvoir être comparée, pour la puissance et la grandeur, à l’illustre État de Venise, se gouverne pourtant elle-même, et ne le cède en Allemagne à aucune ville pour l’activité commerciale, pour la richesse et pour la sagesse de ses magistrats. Je suis en effet de Francfort-surle-Mein, et sans doute le nom et la renommée de cette ville sont parvenus jusqu’à vous. — De Francfort-sur-le-Mein ! s’écria une jeune et jolie femme. Monsieur le podestat, vous pourrez savoir d’abord quel est cet étranger, que je tiens, quant à moi, pour un honnête homme. Faites appeler Gregorio, qui a été longtemps en service dans cette ville : il décidera la question mieux que personne. »

Déjà les visages bienveillants m’entouraient en plus grand nombre ; mon premier adversaire avait disparu, et, lorsque Gregorio arriva, l’affaire tourna entièrement à mon avantage. Gregorio pouvait avoir cinquante ans ; c’était une bonne figure italienne. Il parla et se comporta en homme pour qui l’étranger n’est pas étrange ; il me conta d’abord qu’il avait été domestique chez M. Bolongaro, et qu’il serait charmé d’avoir par moi des nouvelles de cette famille et de la ville, dont il avait con-