Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/130

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ceinte, sans la moindre commodité pour les spectateurs. Pourquoi ne pas jouer dans l’amphithéâtre, où la place serait si belle ?

Vérone, 17 septembre 1786.

Je ne dirai que peu de mots des tableaux que j’ai vus, et j’ajouterai quelques réflexions. Je ne fais pas ce merveilleux voyage pour m’abuser moi-même, mais pour apprendre à me connaître au moyen des objets; et je me dis très-sincèrement que j’entends peu de chose à l’art et au métier du peintre. Mon attention, mes réflexions, ne peuvent, en général, porter que sur le côté pratique, sur le sujet et la tractation générale.

San Giorgio est une galerie de belles peintures, tous tableaux d’autel, sinon d’égale valeur, du moins tous remarquables. Mais, ces malheureux artistes, qu’avaient-ils à peindre? et pour qui travaillaient-ils? Une pluie de manne de trente pieds de largeur sur vingt de hauteur, et, comme pendant, le miracle des cinq pains! Qu’avaient-ils là à peindre? Des gens affamés, qui se jettent sur de petits grains de manne; d’autres, sans nombre, auxquels on présente du pain. Les artistes se sont mis à la torture pour rendre intéressantes de telles pauvretés. Et cependant l’aiguillon de la nécessité a fait produire au génie de belles choses. Un artiste, qui avait à représenter sainte Ursule avec les onze mille vierges, s’en est tiré avec beaucoup d’esprit. La sainte est au premier plan, comme ayant pris possession du pays par sa victoire; elle a l’air très-noble; c’est une jeune amazone, qui n’a rien de séduisant. Dans le lointain, qui diminue tous les objets, on voit sa troupe débarquer et s’avancer en procession. La cathédrale possède une Assomption du Titien, mais très-noircie. La pensée en est louable : la nouvelle divinité ne regarde pas au ciel mais en terre, vers ses amis.

Dans la galerie Gherardini, j’ai trouvé de très-belles choses d’Orbetto, et j’appris tout à coup à connaître cet estimable artiste. Dans l’éloignement, on n’entend parler que des plus éminents, et souvent on se contente de leurs noms; mais, quand on s’approche de ce ciel étoilé, et que les étoiles de deuxième et de troisième grandeur commencent aussi à étinceler, que chacune se montre et tient sa place dans la constellation, alors