Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/184

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et que maintenant c’était très-rare, même dans les jours les plus sereins ; que ce brouillard se portait donc de préférence sur la chaîne septentrionale, et faisait de notre chère patrie un véritable séjour de Cimmériens. Cet homme me fit observer aussi l’air et la situation salubres de la ville ; que les toits paraissaient comme neufs ; que les tuiles n’étaient nullement attaquées par la mousse et l’humidité. Il faut convenir que les toits sont tous beaux et propres, mais la qualité de la tuile y peut être pour quelque* chose : du moins on en cuisait jadis d’excellente dans ce pays.

La tour penchée est un affreux spectacle, et pourtant il est très-vraisemblable qu’on l’a bâtie comme cela avec intention. Voici comment je m’explique cette folie. Dans les temps des troubles civils, tout grand édifice devenait une forteresse, dans laquelle chaque, famille puissante élevait une tour. Peu à peu on se fit de ces constructions un plaisir et un honneur ; chacun voulait faire parade d’une tour, et, lorsqu’enfin les tours verticales furent trop communes, on en bâtit une penchée. Les architectes et les propriétaires ont atteint leur but : on donne un coup d’œil aux cent tours droites, élancées, et l’on cherche la tour qui penche. J’y suis monté ensuite. Les couches des briques sont horizontales. Avec de bon ciment et des ancres de fer, on peut aisément faire des ouvrages fous.

Bologne, 19 octobre 1786, au soir.

J’ai employé ma journée de mon mieux pour voir et revoir ; mais il en est de l’art comme de la vie, plus on avance plus il s’étend. Dans ce ciel se lèvent des astres nouveaux, que je ne puis compter et qui m’éblouissent : les Carraches, le Guide, le Dominiquin, apparus dans une époque de l’art plus tardive et plus heureuse. Mais, pour les goûter véritablement, il faut une science et un discernement qui me manquent et qu’on ne peut acquérir que par degrés. Un grand obstacle à l’observation pure et à l’étude directe, ce sont les sujets le plus souvent absurdes des tableaux : on s’en indigne, quand on voudrait les vénérer et les aimer. C’est comme quand les fils de Dieu se mariaient avec les filles des hommes ; il en naissait toute espèce de monstres. Tandis que vous êtes attiré par le divin génie du Guide et