Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/185

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

par son pinceau, qui n’aurait dû peindre que ce qu’on peut voir de plus parfait, vous voudriez détourner les yeux des sujets, affreusement stupides, et que toutes les injures du monde ne pourraient assez ravaler. Et c’est toujours ainsi : on est toujours dans la salle d’anatomie, sur l’échafaud, dans la voirie ; toujours les souffrances du héros, jamais l’action, jamais un intérêt présent, toujours l’attente fantastique de quelque chose d’extérieur ; des malfaiteurs ou des extatiques, des criminels ou des fous ; le peintre, pour se sauver, amène un jeune gaillard nu, une jolie spectatrice ; il traite ses héros spirituels comme des mannequins, et les drape de superbes manteaux à larges plis. 11 n’y a rien là qui pût donner une idée humaine. Sur dix sujets, il n’y en a pas un qu’on eût dû peindre, et, cet unique, l’artiste n’a pas été libre de le prendre du bon côté.

Le grand tableau du Guide, dans l’église des Mendiants, est le dernier effort de la peinture, mais aussi tout ce qu’on peut demander et commander de plus absurde à l’artiste. C’est un tableau votif. Je crois que le sénat tout entier l’a voué et aussi inventé. Les deux anges, qui seraient dignes de consoler une Psyché dans son infortune, sont ici obligés de….

Le saint Proclus est une belle figure, mais les autres, les évêques et les moines !…. En bas sont des enfants célestes, qui jouent avec les attributs. Le peintre, à ’qui on tenait le couteau sur la gorge, s’efi tirait comme il pouvait. Il s’évertuait, pour montrer seulement qu’il n’était pas le barbare. Deux figures nues du Guide, un saint Jean dans le désert, un saint Sébastien, sont admirablement peintes. Et que disent-ils ? L’un se tient là, bouche béante, l’autre se courbe. Si, dans ma mauvaise humeur, je consulte l’histoire, je suis tenté de dire : la foi a ressuscité les arts, mais la superstition s’en est emparée et les a tués de nouveau.

En sortant de table, animé de dispositions plus douces et moins ambitieuses que ce matin, j’ai noté ce qui suit dans mes tablettes. Dans le palais Tanari est un célèbre tableau du Guide, représentant la Vierge allaitant Jésus. Elle est de grandeur colossale ; la tète semble l’ouvrage d’un dieu. On ne peut rendre l’expression avec laquelle elle regarde l’enfant attaché à son sein. On dirait une tranquille et profonde résignation ; ce n’est