Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/363

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vrait y essayer son talent, du moins sur le papier. Nous avons ensuite entrepris de nous frayer un chemin jusqu’à la ville à travers les jardins, et nous avons appris quel impénétrable boulevard c’était qu’une haie d’aloès. La vue pénètre à travers les feuilles entre-croisées, et l’on croit pouvoir aussi traverser, mais les fortes épines du bord des feuilles sont de sensibles obstacles. Si nous mettons le pied sur une de ces feuilles colossales, dans l’espérance qu’elle pourra nous porter, elle se casse, et au lieu de nous dégager et de passer, nous tombons dans les bras d’une plante voisine.

Nous sommes enfin parvenus h sortir de ce labyrinthe ; nous avons pris quelque nourriture à la ville, et nous n’avons pu quitter ce lieu avant le coucher du soleil. C’était un spectacle d’une beaulé infinie, de voir cette contrée, remarquable dans tous ses détails, se plonger peu à peu dans la nuit.

Sous Taormine, au bord de la mer, mardi 8 mai 1787.

Je ne puis donner assez d’éloges à ce Kniep, que ma bonne fortune m’a envoyé, car il me soulage d’un fardeau qui me serait insupportable, et il me rend à ma propre nature. Il est monté là-haut pour dessiner en détail ce que nous avons observé à la volée. Il Saillera souvent ses crayons, et je ne vois pas comment il viendra à bout de cet ouvrage. J’aurais pu revoir aussi tout cela, et d’abord j’ai voulu monter avec lui, puis je me suis senti l’envie de rester ici. J’ai cherché un étroit asile, comme l’oiseau qui voudrait bâtir son nid. Dans un mauvais jardin villageois, qu’on laisse à l’abandon, je me suis assis sur les branches d’un oranger, pour me plonger dans mes rêveries. Des branches d’oranger sur lesquelles s’assied le voyageur, cela sonne d’une manière un peu étrange ; mais on le trouve tout naturel, quand on sait que l’oranger,-abandonné à lui-même, se divise peu au-dessus de la racine, en rameaux qui, avec le temps, deviennent de véritables branches. J’étais donc assis de la sorte, continuant à méditer le plan de Nausicaa, résumé dramatique de l’Odyssée. Je ne le crois pas impossible, mais il faudrait ne pas perdre de vue la différence fondamentale du drame et de l’épopée.

Kniep est redescendu, joyeux et satisfait, et a rapporté deux