Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/419

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L’un est que je n’ai jamais voulu apprendre le métier d’une chose que je voulais ou devais pratiquer. De là vient qu’avec tant de dispositions naturelles, j’ai fait si peu de chose. Tantôt une production bien ou mal réussie, selon que le voulaient le hasard et la fortune, m’était arrachée par la force de l’esprit ; tantôt je m’appliquais à faire bien et avec réflexion, et j’étais timide, je ne pouvais achever. Mon autre défaut, qui a beaucoup d’aflinité avec le premier^ c’est que je n’ai jamais voulu consacrer à. une affaire ou un travail tout le temps nécessaire. Ayant le bonheur de pouvoir penser et combiner beaucoup en peu de temps, une exécution qui marche pas à pas m’est ennuyeuse et insupportable. Or il me semble que le moment serait venu de me corriger. Je suis dans le pays des arts : je veux en approfondir l’étude, afin d’y trouver de la joie et du repos pour le reste de ma vie et de pouvoir passer à autre chose. Rome est pour cela un lieu admirable. On y trouve, non-seulement des objets, mais aussi des hommes de toute sorte, qui s’y intéressent, qui suivent la bonne voie, avec lesquels on peut faire aisément, par la conversation, des progrès rapides. Dieu merci, je commence à pouvoir apprendre et recevoir des autres hommes. Je me trouve donc ainsi, de corps et d’âme, mieux que jamais. Puissiez-vous le reconnaître à mes productions et apprécier mon absence. Ce que je fais, ce que je pense, m’enchaîne à vous ; du reste je suis vraiment très-seul, et il faut que je modifie mes conversations : mais cela est plus facile ici que partout ailleurs, parce qu’on a avec chacun quelque chose d’intéressant à dire.

Mcngs dit quelque part de l’Apollon du Belvédère, qu’une statue qui, avec la même grandeur de style, aurait dans les chairs plus de vérité, serait tout ce que l’homme peut concevoir de plus grand. Et ce torse d’un Apollon ou d’un Bacchus, dont j’ai parlé, semble avoir accompli son vœu, sa prophétie. Je n’ai pas l’œil assez exercé pour décider dans une matière si délicate, mais j’incline à considérer ce reste comme la plus belle chose que j’aie jamais vue. Par malheur, ce n’est qu’un torse ; encore l’épiderme est-il emporté en plusieurs endroits. Ce débris doit avoir été sous un égout.