Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/527

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frère entra, et nos adieux se firent en amicale et sage prose. Quand je fus devant la porte, je trouvai ma voiture sans cocher. Un petit garçon courut à sa recherche. La jeune fille s’était mise à la fenêtre de l’entre-sol, qu’ils occupaient dans une maison de belle apparence. La fenêtre était si peu élevée qu’il semblait qu’on aurait pu se toucher la main. « Vous le voyez, m’écriaije, on ne veut pas m’emmener loin de vous ; on sait apparemment que je vous quitte à regret. » Ce qu’elle répondit, ce que je répliquai, tout le cours du plus délicieux entretien, qui, libre de toute contrainte, dévoila les sentiments intimes de deux amants qui se rendaient à peine compte de leur situation, je ne veux pas le profaner en le répétant : ce fut l’aveu final, laconique, étrange, amené par un hasard, arraché par une émotion intime, de l’affection mutuelle la plus innocente et la plus tendre, et qui, par là même, n’est jamais sortie de ma pensée et de mon cœur.

Cependant mon départ de Rome devait être préparé d’une manière particulièrement solennelle : trois nuits auparavant, la pleine lune brilla dans le ciel le plus clair, et le charme magique qu’elle répandait sur la vaste cité, éprouvé si souvent, me fit alors l’impression la plus profonde. Les grandes masses illuminées comme par un jour doux, avec leurs oppositions d’ombres profondes, éclairées quelquefois par reflet, pour faire deviner les détails, semblent nous transporter dans un autre monde, plus simple et plus grand.

Après des jours passés au milieu de distractions quelquefois pénibles, je me promenai accompagné seulement de quelques amis.

Lorsque j’eus parcouru, sans doute pour la dernière fois, la longue rue du Corso, je montai au Capitole, qui se dressait là dans le désert comme un palais de fées. La statue de Marc Aurèle me rappela le commandeur dans Don Juan, et fit entendre au voyageur qu’il entreprenait quelque chose d’extraordinaire : néanmoins je descendis l’escalier de derrière. L’Are de triomphe de Seplime Sévère, entièrement ténébreux, jetant des ombres ténébreuses, s’élevait devant moi ; dans la solitude de la Voie Sacrée, les objets que je connaissais si bien me parurent étranges et fantastiques. Mais, quand je m’approchai des restes