Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/528

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sublimes du Colisée, et que je jetai les yeux dans l’intérieur, à travers la grille qui le fermait, je ne dois pas dissimuler que je fus saisi d’un frisson et me hâtai de revenir.

Les masses produisent toujours une impression particulière, parce qu’elle sont à la fois sublimes et saisissables, et, dans ces promenades, je faisais, en quelque manière, l’incalculable summa summarum de tout mon séjour à Rome.

A mon départ, je sentis une douleur toute particulière. En quittant sans espoir 4e retour cette capitale du monde, dont on fut quelque temps citoyen, on éprouve un sentiment qu’on ne peut ni exprimer ni communiquer. Je ne cessais de me redire en ce moment l’élégie d’Ovide, qu’il composa, quand le souvenir d’un sort pareil le poursuivit jusqu’au bout de la terre habitée. Ces distiques me revenaient toujours au milieu de mes impressions.

Quand cette nuil funèbre occupe ma pensée,
Cette dernière nuil qu’à Rome j’ai passée,
Qui m’a vu délaisser lanl d’amis précieux,
Je sens les pleurs encor s’échapper de mes yeux….
Hommes el chiens déjà reposaient taciturnes ;
La Lune ouvrait l’espace à ses coursiers nocturnes ;
Mes regards passaient d’elle aux murs capilolins,
De mes dieux familiers inutiles voisins….

Mais je ne pus longtemps répéter cette expression étrangère de mes propres sentiments, sans être obligé d’en faire à ma personne, à ma situation, l’application la plus particulière. Ces douleurs s’étaient identifiées avec les miennes, et, dans mon voyage, celte activité intérieure m’occupa bien des jours et des nuits. Toutefois je me gardai d’écrire une seule ligne, de peur que ce souffle délicat de douleur intime ne vînt à s’exhaler. Je ne regardais presque rien pour ne pas me laisser distraire de cette douce souffrance. Mais bientôt il me fallut reconnaître combien le monde paraît beau, quand nous l’observons avec des sens émus. Je m’élevai courageusement à une plus libre activité poétique ; la pensée du Tasse vint se lier à ces impressions, et je travaillai avec un plaisir particulier les endroits qui me touchaient de plus près dans ce moment. Je passai la plus grande partie de mon temps à Florence dans les jardins de