Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/55

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faire ici une observation particulière. Par un jour serein, nous les avons vus monter aussi beaux et plus beaux encore des glaciers bernois : ici nous avons observé la même chose, comme si le soleil attirait à lui les plus légères vapeurs des plus hauts glaciers, et que ces exhalaisons éthérées fussent cardées dans l’atmosphère par un vent léger, comme une laine écumeuse. Je ne me souviens pas d’avoir jamais vu chez nous, dans les plus longs jours d’été, où l’on observe aussi de pareils phénomènes, quelque chose d’aussi transparent, d’aussi pénétré de lumière. Nous voyions déjà devant nous les montagnes neigeuses d’où s’élevaient ces nuages ; la vallée commençait à se fermer ; l’Arve s’élançait d’une crevasse de rocher ; nous avions à escalader une hauteur et nous grimpâmes : les glaciers étaient devant nous à droite et toujours plus élevés. Diverses montagnes, d’antiques forêts de sapins, se montraient à droite, les unes dans la profondeur, les autres aussi élevées que nous. A gauche, sur nos têtes, les cimes étaient chauves et dentelées. Nous sentions que ’nous approchions toujours davantage d’un massif de montagnes plus fort et plus puissant. Nous franchîmes à sec un large lit de graviers et de cailloux, que les torrents creusent sur K pente de la montagne et qu’ensuite ils remplissent ; de là on arrive dans une vallée très-agréable, tout unie et fermée en rond, où se trouve le petit village de Servez. De là le chemin contourne des rochers de forme très-variée, puis se rapproche de l’Arve. Au delà, on gravit une côte ; les masses deviennent toujours plus grandes ; d’une main discrète, la nature a commencé à préparer ici le gigantesque. Le jour baissait, nous approchions de la vallée de Chamouni, et enfin nous y entrâmes. Les grandes masses nous étaient seules visibles. Les étoiles se montraient l’une après l’autre, et nous remarquâmes au-dessus du sommet des montagnes, à droite devant nous, une lumière que nous ne pouvions nous expliquer. Claire, sans rayonnement, comme la voie lactée, mais plus dense, à peu près comme les pléiades, seulement plus étendue ; elle occupa longtemps notre attention, jusqu’à ce qu’enfin, quand nous eûmes changé de point de vue, comme une pyramide pénétrée d’une mystérieuse lumière intérieure, qui ne saurait être mieux comparée qu’à la phosphorescence d’un ver luisant, elle parut dominer les cimes