Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/82

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fromage ; nous bûmes un verre de vin rouge, et nous étions très-joyeux et bien disposés, quand notre guide revint, amenant sur ses pas un homme plus grand et plus robuste encore, qui semblait avoir la force et le courage d’un cheval. L’un d’eux chargea le portemanteau sur ses épaules, et, au nombre de cinq, nous sortîmes du village. En peu de temps nous atteignîmes le pied de la montagne qui était à notre gauche, et peu à peu nous commençâmes à monter. Nous avions encore un sentier frayé, qui descendait d’une Alpe voisine, mais il se perdit bientôt, et nous dûmes gravir la montagne dans la neige. Nos guides tournaient habilement à travers les rochers, autour desquels serpente le sentier connu, et cependant la neige couvrait tout uniformément. Nous passâmes encore à travers un bois de pins ; nous avions le Rhône à nos pieds dans une étroite et stérile vallée. Bientôt nous dûmes y descendre nous-mêmes ; nous franchîmes une petite passerelle, et nous vîmes alors devant nous le glacier du Rhône. C’est le plus vaste que nous ayons embrassé tout entier d’un coup d’œil. Il occupe, sur une trèsgrande largeur, la croupe d’une montagne, et s’abaisse sans interruption jusqu’au fond de la vallée, où le Rhône sort de ses glaces. A la place où elles s’écoulent, les gens du pays assurent qu’elles ont diminué depuis quelques années, mais, auprès de la masse énorme qui subsiste, l’a chose est insignifiante. Quoique tout fût couvert de neige, les parois de glace, où le vent ne permet pas si aisément à la neige de se fixer, étaient visibles a.vec leurs crevasses d’un bleu de vitriol ; et l’on pouvait voir distinctement où le glacier finit, où commence le rocher couvert de neige. Nous côtoyâmes le glacier, qui s’étendaità main gauche. Bientôt nous trouvâmes encore une légère passerelle sur un petit torrent de montagne, qui descendait au Rhône par un vallon creux et stérile. Mais, du glacier, àdroite, à gauche et en avant, on ne voit plus aucun arbre ; tout est désert et sauvage. Point de rochers abrupts et qui surplombent, mais de longues vallées, des montagnes aux pentes douces, qui nous présentaient, sous un tapis de neige où tout s’égalise, des plaines uniformes et continues. Alors nous montâmes à gauche, et nous nous enfonçâmes dans la neige profonde. Un de nos guides dut marcher devant nous, et nous frayer d’un pas intrépide le chemin où nous