Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/90

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

qualité supérieure. La vallée ne produit pas d’arbres ; seulement des bouquets de saule encadrent la rivière et, sur les pentes des montagnes, s’entrelacent des buissons. C’est, de toutes les contrées que je connais, celle que je trouve la plus aimable et la plus intéressante, soit que d’anciens souvenirs me la rendent chère, soit que tant de merveilles de la nature, enchaînées ensemble, éveillent chez moi un secret et incfl’able sentiment de plaisir. Je fais d’abord observer que toute la contrée où je vous promène est couverte deneige ; rochers et prairies sont tout blancs. Pas un nuage au ciel, dont l’azur est beaucoup plus sombre qu’on ne le voit d’ordinaire dans le plat pays. Les croupes des montagnes blanches qui s’en detachent sont, les unes étincelantes aux rayons du soleil, les autres bleuâtres dans l’ombre. Après une heure et demie de marche, nous arrivâmes à l’Hôpital, petit village, encore situé dans la vallée d’Urseren, sur le chemin du Saint-Gothard. C’est là que j’ai foulé pour la première fois la trace de mon précédent voyage. Nous entrâmes, et, après avoir commandé notre dîner pour le lendemain, nous gravîmes la montagne. Une longue file de mulets animait de ses clochettes toute la contrée. C’est un bruit qui éveille tous les souvenirs de montagnes. La plus grande partie nous avaient devancés et avaient passablement rompu la route glissante avec leurs fers tranchants. Nous trouvâmes aussi plusieurs cantonniers, chargés de couvrir de terre le verglas, afin de maintenir la route praticable. Le vœu que j’avais fait autrefois de voir un jour cette contrée dans la neige est désormais accompli. La route côtoie la Rcuss, qui se précipite de rochers en rochers, et les cascades présentent les plus belles formes. Nous fûmes longtemps captivés par la beauté de l’une d’elles, qui, dans une assez grande largeur, tombait par-dessus des rochers noirs. Çà et là, dans les crevasses et sur les plates-formes, s’étaient fixés des blocs de glace, et l’eau semblait courir sur du marbre moucheté de noir et de blanc. La glace brillait au soleil comme des veines de cristal et des traits de flamme, et l’eau courait et tombait au travers, vive et limpide. Dans les montagnes, il n’est point de compagnons de voyage plus fatigants que les mulets. Leur marche est inégale : en effet, par un singulier instinct, au bas d’un endroit rapide, ils commencent par s’arrêter, puis ils le franchis-