Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/102

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salions. Je prétends vous repaître de miel aujourd’hui, autant que vous pourrez en porter. »

Le fripon avait dans la pensée les coups de bâton des paysans irrités. Reineke courut en avant, et Brun le suivit aveuglément.

« Si je réussis, se disait le renard, je te mènerai aujourd’hui dans un marché où tu trouveras du miel bien amer. «

Et ils arrivèrent à. la ferme de Rusteviel. Cela rendit l’ours bien joyeux, mais sans cause, comme il arrive souvent aux fous de se tromper avec espérance.

Le soir était venu et Reineke savait qu’à cette heure, Rusteviel était d’ordinaire couché dans sa chambre. C’était un charpentier, un maître habile. Dans la cour se trouvait un tronc de chêne ; déjà, pour le diviser, il y avait enfoncé deux coins épais, et, par en haut, l’arbre était ouvert de près d’une aune. Reineke l’observa et il dit :

« Mon oncle, il se trouve dans cet arbre plus de miel que vous ne pensez. Fourrez dedans votre museau aussi avant que vous pourrez. Seulement je vous conseille de n’en pas prendre à l’excès, avec gourmandise : vous pourriez vous en mal trouver.

— Croyez-vous, dit l’ours, que je sois un glouton ? Nullement. La modération est bonne en toutes choses. »

II se laissa donc enjôler, et il fourra sa tête dans la fente jusqu’aux oreilles, et aussi les pieds de devant. Reineke se mit à l’œuvre, et, à force de tirailler, il arracha les coins, et l’ours fut pris, la tête et les pieds étroitement serrés. Ni reproches ni flatteries ne servirent de rien ; Brun avait assez à faire, quoique vigoureux et hardi : et voilà comme le neveu prit l’oncle au piège par adresse. L’ours hurlait et gémissait, et, avec les pieds de derrière, il grattait de fureur ; il fit tant de vacarme, que Rusteviel accourut. Le maître se demandait ce que ce pouvait être, et il apportait sa hache, afin qu’on le trouvât les armes à la main, si quelqu’un songeait à lui faire tort.

Cependant Brun se trouvait dans une grande angoisse ; il était serré violemment dans la fente ; il tirait et se démenait, rugissant de douleur. Mais, avec toute sa peine, il ne gagnait rien ; il croyait ne jamais sortir de là. Reineke en avait aussi la joyeuse assurance. Quand il vit Rusteviel s’avancer de loin, il cria : « Brun, comment va-t-il ? Modérez-vous et ménagez le miel.