Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/11

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femmes et les enfants aussi étaient essoufflés, se traînant avec des paquets, portant des corbeilles et des hottes pleines de choses inutiles. Car l’homme délaisse à regret le moindre débris de son avoir. Ainsi cheminait sur la route poudreuse la troupe, qui se pressait en désordre et confuse. L’un désirait aller lentement avec son faible attelage, l’autre voulait se hâter. Puis s’élevaient des cris de femmes et d’enfants écrasés, les beuglements du bétail mêlés aux aboiemerits des chiens, les gémissements des vieillards et des malades, assis et vacillants dans leurs lits, perchés sur la voiture pesante, surchargée de bagage. Cependant, poussée hors de l’ornière, vers le bord de la chaussée, la roue criarde s’égare ; la voiture tombe dans le fossé, renversée, et les hommes, avec des cris affreux, sont lancés au loin dans le champ, par bonheur, sans blessures : après eux se renversent les coffres, mais plus près du chariot. En vérité, qui voyait tomber ces pauvres gens, s’attendait à les voir écrasés sous le poids des coffres et des armoires. La voiture était brisée et les gens sans secours, car les autres cheminaient et passaient à la hâte, ne pensant qu’à eux-mêmes, et entraînés par le torrent. Nous accourons, et les malades, les vieillards, qui, chez eux et dans leur lit, auraient à peine supporté leurs longues souffrances, nous les trouvons gisants sur la terre, blessés et gémissants, brûlés par le soleil .étouffés par les flots de poussière. «

Le charitable aubergiste dit avec émotion :

« Puisse Hermann les atteindre, les soulager et les vêtir ! Pour moi, je souffrirais à les voir : l’aspect de la détresse me fait mal. Emus, à la première nouvelle de si grandes souffrances, nous avons envoyé bien vite une obole.de notre superflu, afin d’en soutenir du moins quelques-uns, et de pouvoir nousmêmes les supposer plus tranquilles. Mais ne renouvelons pas ces tristes images ; car la crainte se glisse bientôt dans le cœur des hommes avec le souci, qui m’est plus odieux que la souffrance même. Entrez dans la chambre de derrière, dans le petit salon plus frais. Jamais le soleil ne s’y montre, jamais l’air chaud ne pénètre au travers des murs épais. La petite mère nous apportera un verre de quatre-vingt-trois, pour ciiasser les soucis. Ici l’on ne boit pas à son aise ; les mouches bourdonnent des verres. »