Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/112

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Mais retournons à Hinze. Le pauvre malheureux, se sentant pris, poussa des cris lamentables, à la manière des chats. Le petit Martin l’entendit et sauta à bas de son lit :

« Dieu soit loué ! J’ai placé à la bonne heure le lacet devant l’ouverture ; le voleur est pris. Je pense qu’il va bien payer le coq. »

Ainsi dit Martinet triomphant, et il alluma vivement une chandelle (les gens dormaient dans la maison) ; il éveilla père et mère, et tous les valets, en s’écriant :

« Le renard est pris, allons lui faire son compte. »

Ils accoururent tous, grands et petits ; le curé lui-même se leva,- se couvrit d’un petit manteau ; sa cuisinière le précédait avec deux chandelles ; Martinet avait pris à la hâte un gourdin, et tomba sur le chat, lui en donna sur la peau, sur la tète et lui arracha un œil. Tous frappaient sur le chat ; le curé accourut avec une fourche, et se flattait d’égorger le voleur. Hinze se crut mort : il s’élança, furieux et résolu, entre les jambes du prêtre, le mordit et l’égratigna dangereusement, outragea l’homme d’une façon terrible et vengea cruellement son œil. Le curé pousse des cris et tombe par terre sans connaissance. La cuisinière vocifère élourdiment que c’est le diable qui lui joue à elle-même ce méchant tour. Elle jure deux et trois fois qu’elle donnerait volontiers tout son petit avoir, pour que cet accident ne fût pas arrivé à son maître. Elle jura même que, si elle avait un monceau d’or, elle ne le regretterait pas, et qu’elle y renoncerait volontiers. C’est ainsi qu’elle déplorait la disgrâce de son maître et sa cruelle blessure. Enfin on le porta au lit, faisant beaucoup de plaintes ; on laissa Hinze à la corde et on l’avait oublié.

Lorsque Hinze, le chat, se vit seul dans sa détresse, cruellement battu et grièvement blessé, si près de la mort, par amour de la vie, il saisit la corde et la mordit vivement.

« Pourrais-je, se disait-il, me délivrer peut-être de ce grand mal ? »

La chose lui réussit ; la corde rompit. Qu’il se sentit heureux ! Il se hâta de fuir le lieu où il avait tant souffert. Il s’élança vivement hors du trou, et prit en diligence le chemin de la cour du roi, où il arriva le lendemain. Il se faisait à lui-même des reproches amers.