Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/111

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renard n’eût enflammé la colère du loup ? Reineke pénétra dans l’appartement de la femme, et ne la trouva pas à la maison.

« Dieu vous garde, mes beaux-fils ! « dit-il, ni plus ni moins.

Il fit aux petits un signe d’amitié et s’en alla à ses affaires. Le matin, Mme Giremonde étant revenue au point du jour :

«Personne n’est-il venu me demander ? dit-elle.

— Monsieur notre parrain Reineke ne fait que de sortir. Il désirait vous parler. Tous tels que nous sommes ici, il nous a qualifiés de beaux-fils.

— Il le payera, » s’écria Giremonde.

Et sur l’heure elle courut venger cette insolence. Elle savait où il avait coutume d’aller ; elle l’atteignit et lui dit en colère :

• Quel est ce langage ? et quels propos injurieux avez-vous tenus sans conscience, en présence de mes enfants ? Vous en serez puni. >

Ainsi dit-elle en colère, et elle lui montrait un visage irrité. Elle le prit par la barbe ; il sentit la force de ses dents, et se mit à courir, pour lui échapper. Elle le suivit lestement à la piste. Alors il se passa de singulières aventures.

Un château en ruine se trouvait dans le voisinage. Tous deux le gagnèrent à pas précipités. La muraille d’une tour s’était fendue de vétusté. Reineke se glissa dans l’ouverture : il dut faire ellbrt, parce que la crevasse était étroite. La louve, grande et forte comme elle était, fourra à la hûte sa tête dans la fente. Elle pressait, poussait, perçait, tirait et voulait suivre Reineke, et se prenait toujours plus avant, et ne pouvait avancer ni reculer. Quand Reineke vit la chose, il courut de l’autre côté, par un détour. Il vint et lui donna de l’ouvrage. Mais elle ne se faisait pas faute de paroles et lui criait avec insulte :

« Tu te conduis comme un vaurien, un voleur. »

Et Reineke lui répliqua :

« Si cela ne s’est jamais vu, cela se voit maintenant. »

On se fait peu d’honneur à ménager sa femme aux dépens des autres, comme Reineke faisait alors. Le méchant n’avait souci de rien. Lorsque enfin la louve se fut dégagée de la crevasse, Reineke était déjà loin et passait son chemin. Et la femme, qui avait prétendu se faire justice elle-même et défendre son honneur, l’avait doublement perdu.