Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/130

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blée. Mon Dieu, ce ne fut pas le diable, ce fut mon père, qui les subjugua avec son or funeste. Ils résolurent la mort du roi ; ils se jurèrent une ferme, une éternelle alliance. Ainsi jurèrent tous les cinq sur la tête d’Ysengrin. Ils voulaient proclamer roi Brun, l’ours, et, sur le trône d’Aix-la-Chapelle, avec la couronne d’’or, lui assurer l’empire solennellement. Si quelqu’un des amis ou des parents du roi voulait s’y opposer, mon père devait le persuader ou le corrompre, et, si cela ne réussissait pas, l’expulser sur-le-champ. Je vins à le savoir, parce que Grimbert, s’étant amusé à boire un matin, en était devenu babillard. L’imbécile conta tout le mystère à sa femme, en lui ordonnant de se taire. Il croyait la précaution suffisante ; mais, bientôt après, elle rencontra ma femme, qui dut lui promettre solennellement, par les noms des trois rois, lui jurer sur son honneur et sa foi, que, par amour ni par crainte, elle n’en dirait pas un petit mot à personne ; après quoi, elle lui découvrit toute l’affaire. Ma femme ne tint pas mieux sa promesse. Aussitôt qu’elle m’eut trouvé, elle me conta ce qu’elle avait appris, me donna un signe, auquel je reconnaîtrais aisément la vérité de ses discours. Ma situation n’en était que plus mauvaise : je me souvenais des grenouilles, dont le coassement était enfin parvenu dans le ciel aux oreilles du Seigneur. Elles voulaient avoir un roi, et voulaient vivre dans la contrainte, après avoir joui de la liberté dans toutes leurs provinces. Dieu les entendit, et leur envoya la cigogne, qui les poursuit constamment, et les déteste et ne leur laisse point de paix. Elle les traite sans pitié. Maintenant les folles se plaignent, mais, hélas ! c’est trop tard, car le roi les tient sous le joug. »

Rejneke parlait à haute voix, devant toute l’assemblée ; tous les animaux entendaient ses paroles ; il poursuivit son discours en ces termes :

« Je craignais cela pour tout le monde. Il en serait arrivé de même. Monseigneur, je veillai pour vous, et j’espérais une meilleure récompense.

« Les intrigues de Brun, son naturel perfide, me sont connus ; je sais aussi de lui plus d’un méfait. Je craignais tout ce qu’il y a de pire. S’il devenait le maître, nous étions tous perdus. « Notre roi est de noble race et puissant et gracieux,