Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/139

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pèlerin, vous en aurez votre part certainement, vous et nîon gracieux roi. Pendant le pèlerinage, nous sommes obligés de prier pour tous ceux qui nous ont jamais secourus. Que Dieu récompense votre charité ! »

Le seigneur Ysengrin perdit, en conséquence, ses souliers aux pieds de devant, jusqu’aux chevilles ; on n’épargna pas davantage Mme Giremonde : elle dut renoncer à ceux de derrière.

Ayant ainsi perdu tous deux la peau et les ongles des pieds, les misérables étaient gisants avec Brun et pensaient mourir, mais l’hypocrite avait gagné les souliers et le sac. Il survint et se moqua d’eux encore, surtout de la louve.

  • Ma chère, ma bonne, lui disait-il, voyez comme vos souliers me vont bien ! J’espère aussi qu’ils seront de durée. Vous vous êtes donné beaucoup de peine pour me perdre ; j’ai fait de mon côté ce que j’ai pu, et cela m’a réussi. Si vous avez eu du plaisir, c’est enfin mon tour d’en avoir. Ainsi va le monde. On sait prendre son parti. Si je vais en voyage, je pourrai me souvenir chaque jour, avec reconnaissance, de mes chers parents : vous m’avez obligeamment fourni de souliers, et vous n’aurez pas à vous en repentir. Ce que je mériterai de pardons, je le partagerai avec vous : je vais les chercher à Rome et outremer. »

Mme Giremonde était couchée par terre, souffrant de grandes douleurs ; elle ne pouvait presque parler ; cependant elle fit un effort, et dit en soupirant :

« Pour nous punir de nos péchés, Dieu permet que tout vous réussisse. »

Ysengrin était gisant de son côté et gardait le silence avec Brun. Ils étaient tous deux assez misérables, enchaînés, blessés, et raillés par leur ennemi. Il ne manquait plus que Hinzc, le chat : Reineke désirait fort lui jouer aussi quelque tour.

Le lendemain, l’hypocrite s’occupa d’abord à cirer les souliers que ses parents avaient perdus. Il courut se présenter au roi et lui dit :

  • Votre serviteur est prêt à entreprendre le saint voyage : veuillez ordonner, par grâce, à votre chapelain de me bénir, afin que je parte d’ici avec confiance, et que ma sortie et mon entrée soient bénies. »