Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/150

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pèlerin ; il attendait peu de merci. Le fripon ne trouvait pas de plus grand plaisir que d’exercer sa malice selon son’vieil usage. On entendit à la cour les plus beaux chants ; on servait aux hôtes, en abondance, à boire et à manger ; on vit des tournois et des joutes ; chacun s’était rapproché des siens ; on dansait, on chantait, puis on entendait le sifflet par intervalles, on entendait le chalumeau. Le roi regardait, avec bienveillance, des fenêtres du salon ; il se plaisait à ce grand tumulte ; ses yeux en étaient réjouis.

Huit jours étaient passés ; le roi s’était mis à table avec ses premiers barons ; il était assis à côté de la reine, quand le lapin sanglant se présenta devant le roi, et lui dit tristement :

« Sire, sire, et vous tous, seigneurs, ayez pitié de moi : car vous avez rarement ouï parler d’une trahison aussi perfide et d’actes aussi sanguinaires que ceux dont Reineke m’a rendu victime. Hier matin je le trouvai assis ; c’était vers six heures ; je passais sur la route devant Maupertuis, et je croyais aller mon chemin en paix. Vêtu en pèlerin, il était assis devant sa porte, et semblait lire ses prières du matin. Je voulais passer vite, pour me rendre à votre cour. Quand il me vit, il se leva soudain, et vint à ma rencontre. Je crus qu’il voulait D’jg saluer, mais il me saisit avec ses pattes en véritable assassin : je sentis ses ongles entre mes oreilles, et je crus, en vérité, avoir la tête arrachée : car ses ongles sont longs et pointus. Il me renversa par terre. Heureusement je me dégageai, et, comme je suis leste, je pus m’échapper. Il grondait après moi, et jura qu’il me trouverait : moi, sans répondre, je m’éloignai ; mais, hélas ! je lui ai laissé une de mes oreilles ; j’arrive la tôte sanglante. Voyez, j’en rapporte quatre plaies. Vous jugerez avec quelle violence il m’a frappé. Il s’en est peu fallu que je ne sois resté sur la place. Songez maintenant au péril, songez à votre sauf-conduit ! Qui peut voyager, qui peut se rendre à votre cour, si le brigand occupe la route et insulte tout le monde ? •

Il finissait à peine, que Merkenau, la corneille bavarde, vint dire à son tour :

  • Noble seigneur et gracieux roi, je vous apporte de tristes nouvelles. Je ne suis pas en état de parler beaucoup, étant saisie de douleur et d’angoisse, et je crains, à le faire, que mon cœur