Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/161

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meilleurs n’échappent pas aujourd’hui à la médisance du peuple. La foule sait parfaitement s’enquérir de chacun ; elle n’oublie guère personne ; elle découvre ceci et cela. Il y a peu de bien dans la société ; et, véritablement, peu de gens méritent d’avoir de bons et justes seigneurs ; car ils disent et ils chantent toujours, toujours le mal, et le bien que peuvent faire les seigneurs, grands et petits, ils le savent sans doute, mais ils s’en taisent ou n’en parlent que rarement. Cependant je trouve pire que tout le reste l’outrecuidance de l’aveugle erreur qui s’empare des hommes, que chacun, dans le délire de sa volonté passionnée, peut gouverner et juger le monde. Si chacun tenait du moins dans l’ordre sa femme et ses enfants, savait contenir d’insolents domestiques, pouvait être heureux sans bruit, dans une vie modeste, tandis que les fous dissipent leurs biens ! Mais comment le monde se pourrait-il amender ? Chacun se permet tout, et veut contraindre les autres par violence. Et voilà comme nous tombons toujours plus avant dans le mal. Calomnies, mensonges, trahisons, larcins, faux serments, meurtre et pillage, on n’entend plus parler d’autre chose ; des faux prophètes et des hypocrites trompent outrageusement les hommes. Voilà comme les gens passent leur vie, et, si l’on veut leur adresser des avis fidèles, ils prennent la chose à la légère et disent même : « Eh ! si le péché était "grave et funeste, comme « ça et là nous le prêchent maints docteurs, le curé éviterait lui« même le péché. » Ils s’excusent sur le mauvais exemple, et ressemblent tout à fait à la race des singes, qui, née pour imiter, parce qu’elle ne choisit ni ne pense, éprouve de sensibles maux.

  • Certes, messieurs du clergé devraient se mieux conduire. Ils pourraient faire bien des choses, à condition de les faire en secret. Mais ils ne nous ménagent point, nous autres laïques, et font tout ce qui leur plaît devant nos yeux, comme si nous étions frappés d’aveuglement. Cependant nous voyons trop clairement que les vœux de ces bons messieurs ne leur plaisent pas plus qu’ils ne sourient à l’ami coupable des œuvres mondaines. Car, au delà des Alpes, les moines ont d’ordinaire une bonne amie ; et il n’en est pas moins dans nos provinces qui s’abandonnent au péché. On m’assure qu’ils ont des enfants comme