Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/17

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elles dévorèrent les rues jusqu’à la place, et la maison de mon père, ici près, fut consumée, et celle-ci le fut également. Nous sauvâmes peu de chose. Pendant cette triste nuit, j’étais assise sur la pelouse, hors de la ville, gardant nos coffres et nos lits. Enfin le sommeil me gagna, et, quand je fus réveillée par la fraîcheur du matin, qui tombe avant le soleil, je vis la fumée et le brasier et les murailles et les cheminées nues. Mon cœur était oppressé : mais le solejl reparut plus brillant que jamais et ranima mon courage. Alors je me levai à la hdte. Le désir me prit de voir la place où avait été notre demeure, et si je retrouverais les poules que j’aimais tant, car j’avais encore le cœur d’un enfant. Lorsque je fus montée sur les ruines de la maison et des dépendances, qui fumaient encore, comme je contemplais notre demeure dévastée et détruite, tu montas de l’autre côté et tu visitais la place. Tu avais eu un cheval enseveli dans l’écurie ; les poutres brûlantes et les décombres le couvraient, et l’on ne voyait pas trace de l’animal. Nous étions là en présence, tristes et pensifs : le mur qui avait séparé nos cours était tombé, et tu me pris par la main et tu me dis : « Lisette,

  • comment peux-tu venir ici ? Va-t’en, tu brûleras tes souliers ; « les décombres sont ardents : ils brûlent mes grosses bottes. » Et tu me pris dans tes bras, et tu m’emportas à travers ta cour. La porté de la maison subsistait encore, avec sa voûte, comme elle est aujourd’hui. C’était la seule chose qui fût restée. Tu me posas à terre, et tu m’embrassas, et je me défendais ; alors tu me dis cette parole sérieuse et tendre : « Regarde, la maison est «détruite : reste ici ; aide-moi à la rebâtir, et j’aiderai, en

• échange, ton père à rebâtir la sienne. » Mais je ne te compris pas, jusqu’au moment où tu envoyas ta mère auprès de mon père, et aussitôt la promesse de l’heureux mariage fut conclue. Aujourd’hui je me souviens encore avec joie des poutres à demi brûlées, et je vois toujours le soleil se lever magnifique. Car ce jour me donna un époux, et ces premiers temps d’affreuse dévastation me donnèrent le fils de ma jeunesse. C’est pourquoi j’aime avoir, Hermann, qu’avec une tranquille confiance, tu penses à faire choix d’une jeune fille dans ces temps malheureux, et que tu oses songer au mariage au milieu de la guerre et des ruines. »