Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/18

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Aussitôt le père reprit vivement la parole :

« Le sentiment est louable, dit-il ; elle est vraie aussi, petite mère, l’histoire que tu as racontée : c’est bien ainsi que les choses se sont passées. Mais mieux est mieux. Il n’arrive pas à chacun de commencer sa vie et sa fortune dès le premier début ; chacun n’est pas obligé de se tourmenter comme nous et d’autres nous l’avons fait. Oh ! qu’il est heureux, celui à qui son père et sa mère transmettent la maison déjà bien établie, et qui la décore de sa prospérité ! Tout commencement est difficile, et difficile surtout le commencement du ménage. L’homme a besoin de mille choses, et tout devient plus cher de jour en jour. Qu’il se mette donc en mesure de gagner plus d’argent. Ainsi j’espère de toi, mon Hermann, que tu amèneras bientôt dans la maison une épouse avec une belle dot : car un brave homme mérite une fille riche. Et il est si agréable de voir, avec la petite femme désirée, arriver aussi, dans les coffres et les corbeilles, les cadeaux utiles ! Ce n’est pas en vain que, durant maintes années, la mère prépare en abondance, pour sa fille, la toile d’un tissu fin et solide ; ce n’est pas en vain que les parrains lui donnent de l’argenterie, et que le père met à part dans son pupitre la rare pièce d’or : leur enfant doit charmer, un jour, avec ses biens et ses cadeaux, le jeune homme qui l’a choisie entre toutes. Oui, je sais comme elle se trouve heureuse dans la maison, la petite femme qui reconnaît ses propres meubles dans la cuisine et les chambres, et qui a fourni elle-même le linge de la table et du lit. Je n’aimerais à voir dans la maison qu’une épouse bien dotée ; la femme pauvre finit par être méprisée de son mari, et il regarde comme une servante celle qui est entrée, comme une servante, avec son petit paquet. Les hommes restent injustes, les temps de l’amour passent. Oui, mon Hermann, tu réjouirais beaucoup ma vieillesse, si tu amenais bientôt dans la maison une petite bru du voisinage, là, de cette maison verte. Le maître est riche ; son commerce et ses fabriques l’enrichissent encore tous les jours : où le marchand ne gagne-t-il pas ? Il n’a que trois filles : elles seront seules à partager le bien. L’aînée est déjà promise, je le sais ; mais la seconde et la troisième sont libres encore, et peut-être ne le seront-elles pas longtemps. A ta place, je n’aurais pas tardé