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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/170

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Tout le monde écoutait, et l’on était grandement surpris des paroles que Reineke avait si fièrement prononcées. La corneille et le lapin s’effrayèrent tous deux ; ils vidèrent la cour, et n’osèrent plus dire le moindre mot. Ils s’en allèrent, se disant l’un à l’autre :

« Il serait imprudent de plaider contre lui davantage. Nous aurions beau tout essayer, nous n’en viendrions pas à bout. Qui l’a vu ?-Nous étions tout seuls avec le drôle : qui pourrait témoigner ? A la fin le dommage sera pour nous. Que le bourreau l’accommode pour tous ses crimes, et le récompense comme il l’a mérité ! Il veut combattre avec nous ? Nous pourrions nous, en mal trouver. Non, ma foi, nous aimons mieux le laisser quitte, car nous le savons agile et menteur et méchant et perfide. En vérité, cinq, tels que nous, seraient trop peu contre lui : il nous faudrait le payer cher. »

Cependant Ysengrin et Brun étaient fort mécontents. Ils virent avec déplaisir la corneille et le lapin se glisser hors de la cour. Le roi dit alors :

« Quelqu’un a-t-il encore des plaintes à faire ? qu’il vienne ; qu’on l’entende. Hier beaucoup de gens faisaient des menaces ; voici l’inculpé : où sont-ils ? »

Reineke prit la parole :

« Ainsi vont les choses ; on accuse, on inculpe celui-ci et celui-là ; mais, qu’il se présente, on reste chez soi. Le lapin et la corneille, méchants traîtres, auraient bien voulu m’infliger honte et dommage et châtiment : ils me demandent pardon, et je pardonne, puisque, à mon arrivée, ils rentrent en eux-mêmes et se retirent. Les ai-je assez confondus ! Vous voyez comme il est dangereux d’écouter les méchants calomniateurs de serviteurs éloignés. Ils faussent la justice et sont odieux aux honnêtes gens. C’est pour les autres seulement que je m’afflige : pour moi je m’en soucie peu.

— Écoute-moi, méchant traître, reprit le roi, qui t’a poussé, dis-moi, à tuer indignement Lampe, le fidèle, qui avait coutume de porter mes lettres ? N’avais-je pas pardonné tout le mal • que tu avais jamais fait ? Tu as reçu de moi le sac de voyage et le bourdon ; tu étais équipé ; tu devais te rendre à Rome et passer la mer ; je t’avais tout accordé ; j’espérais ton amendement,