Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/194

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pas encore conté comme un jour, en Saxe, il m’attira, parmi les singes, honte et dommage. Il me persuada de me glisser dans une caverne, et il savait d’avance qu’il m’en arriverait mal. Si je ne m’étais enfui promptement, j’y perdais les yeux et les oreilles. Il m’avait prévenu, avec des paroles trompeuses, que Mme sa tante se trouvait là dedans. Il voulait dire la guenon. Il fut bien fâché, le drôle, de me voir échappé. Il m’avait envoyé perfidement dans ce repaire abominable : je crus que c’était l’enfer. »

Là-dessus Reineke dit, en présence de tous les seigneurs de la cour :

« Ysengrin parle confusément : il semble n’être pas entièrement dans son bon sens. S’il veut parler de la guenon, qu’il dise la chose clairement. Il y a deux ans et demi qu’il se rendit, avec grand étalage, en Saxe, où je le suivis. Cela est vrai, le reste est mensonge. Ce n’est point de singes, c’est de marmots, qu’il a parlé, et jamais je ne les reconnaîtrai pour mes parents. Martin, le singe, et Mme Ruckenau, sa femme, sont de ma famille ; je les honore, elle, comme ma tante, et lui, comme mon cousin. 11 est notaire et versé dans la jurisprudence. Mais ce qu’Ysengrin dit de ces autres créatures est une insulte pour moi. Je n’ai rien à démêler avec elles ; elles ne furent jamais de ma famille, car elles ressemblent au diable d’enfer. Et, si j’appelai alors la vieille ma tante, je le fis de propos délibéré. Je n’y perdis rien, je l’avouerai volontiers ; elle me traita bien : autrement fût-elle crevée !

« Messieurs, veuillez m’entendre. Nous nous étions écartés du chemin ; nous passâmes derrière la montagne, et nous y remarquâmes une sombre caverne, longue et profonde. Ysengrin se trouva, comme d’ordinaire, malade de faim. Personne l’a-t-il jamais vu rassasié au point d’être satisfait ? Et je lui dis : « II se « trouve dans cette caverne assez de nourriture. Je ne doute pas « que les habitants ne partagent avec nous volontiers ce qu’ils « ont : nous arrivons à propos. D Ysengrin repartit : « Je vous « attendrai, mon oncle, ici, sous l’arbre. Vous êtes, à tous « égards, plus habile à faire de nouvelles connaissances, et, si « l’on vous sert à manger, faites-le-moi savoir. » Le drôle voulut donc attendre d’abord, à mes risques, ce qui arriverait. J’entrai dans la caverne. Ce ne fut pas sans frissonner que je par-