Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/193

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vous reguinder vous-même, et vous faisiez de grandes plaintes. Je vins au puits le matin, et je vous demandai qui vous avait mis là dedans. Vous me dîtes : » Venez vite, chère commère : « je vous fais part volontiers de tous mes avantages. Mettez-vous dans le seau qui est là haut, vous descendrez ici et vous man gérez du poisson autant qu’il vous plaira. » J’étais venue là pour mon malheur : je vous crus. Vous me jurâtes même que vous aviez mangé du poisson jusqu’à vous incommoder. Je me laissai séduire, folle que j’étais, et je me plaçai dans le seau. Il descendit, et l’autre remonta. Vous veniez à ma rencontre. Cela me parut singulier, et je vous en témoignai ma surprise. « Dites, « comment cela se fait-il ? » Vous me répondîtes : « Haut et bas, « ainsi va le monde, ainsi allons-nous. Tel est le cours des « choses. Les uns sont abaissés et les autres élevés, selon le « mérite de chacun. » Vous vous élancez du seau et vous partez bien vite. Moi, j’étais dans l’angoisse au fond du puits, où je dus attendre tout le jour et souffrir, le même soir, assez de coups avant de m’échapper. Quelques paysans vinrent au puits. Ils me remarquèrent. Tourmentée d’une faim cruelle, j’attendais dans la tristesse et l’angoisse ; j’étais dans un état pitoyable. L’un disait : « Vois-tu là-bas dans le seau l’ennemi qui mange « nos moutons ? — Guinde-le en haut, répliqua l’autre : je me « tiendrai prêt et le recevrai sur le bord. Il nous payera nos « agneaux. » Mais, comme il m’accueillit, ce fut une pitié. Les coups me tombèrent sur le dos comme une grêle. Je n’avais pas vu de ma vie un plus triste jour, et j’échappai avec peine à la mort. »

Reineke répliqua :

« Réfléchissez plus attentivement aux conséquences, et vous reconnaîtrez sans doute combien ces coups vous furent salutaires. Pour ce qui me regarde, j’aime mieux m’en passer, et, dans la circonstance, il fallait qu’un de nous deux reçût une volée : nous ne pouvions échapper tous deux. Si vous gardez souvenir de la chose, elle vous servira, et, à l’avenir, en pareil cas, vous n’écouterez personne aussi aisément. Le monde est plein de fourberie.

— Oui, répliqua le loup, qu’est-il besoin d’autres preuves ? Personne ne m’a fait plus de tort que ce méchant traître. Je n’ai