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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/197

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poil est gris, il est vrai, mais c’est en vain qu’on cherche dessous la sagesse. Ses pareils n’estiment ni la prudence ni les fines pensées. Le prix de toute sagesse reste caché au peuple lourd et grossier. Je lui recommandai fidèlement de ménager, cette fois, la vérité. « Je sais bien moi-même ce qui convient, » me répondit-il fièrement, et il trotta dans la caverne. Il y trouva son affaire. Au fond était assise l’horrible femelle : il crut voir le diable devant lui ; et les enfants encore ! Il s’écria tout saisi : « Au secours ! Quelles bêtes abominables ! Ces créatures sont* elles vos enfants ? On les dirait, en vérité, de la bande infer’ nale. Allez vite les noyer, c’est le mieux, afin que cette en« geance ne se répande pas sur la terre. S’ils étaient miens, je « les étranglerais. Vraiment, on pourrait s’en servir à prendre « de jeunes diables : il suffirait de les lier, dans un marais, sur « les roseaux, ces vilains et sales garnements ! Oui, on devrait « les appeler singes de marais ; ils seraient bien nommés. » La mère répliqua vivement et dit en colère : « Quel diable nous « envoie ce messager ? Qui vous pousse à venir nous insulter « ici ? Et mes enfants, qu’ils soient beaux ou laids, qu’avez-vous « à démêler avec eux ? Reineke, le renard, vient de nous quitter ; « c’est un homme d’expérience, qui doit s’y connaître : il affir« niait bien haut qu’il trouvait tous mes enfants jolis, bien éle« vés et de bonnes manières. Il se plaisait à les reconnaître avec « joie pour ses parents. Il y a une heure qu’il nous assurait tout « cela à cette place. S’ils ne vous plaisent pas comme à lui, per« sonne ne vous a prié de venir. C’est là, Ysengrin, ce qu’il « vous faut savoir. » Aussitôt il lui demanda de quoi manger et dit : « Apportez vite, sinon je vous aiderai à chercher. » A quoi bon en dire davantage ? Il se mit .à l’œuvre, et voulut tâter de force aux provisions. Cela lui réussit mal ; car elle se jeta sur lui, le mordit, lui déchira le cuir avec les ongles, le griffa et le tirailla violemment. Les enfants firent de même ; ils le mordirent et l’égratignèrent horriblement. Il hurlait et criait, les joues sanglantes. Sans se défendre, il courut à toutes jambes vers l’entrée. Je le vfe venir tout déchiré, dévisagé, avec des lambeaux de chair pendante, une oreille fendue et le nez sanglant. Ils lui avaient fait maintes blessures et laidement froissé la peau. Je lui dis, comme il sortait : « Avez-vous dit la vérité ? »