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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/204

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dont il se servait comme de mains, fut saisi vivement par Ysengrin, qui le tenait entre ses dents. Reineke était gisant, fort en peine ; il s’attendait sur l’heure à perdre sa main, et il avait mille pensées. Ysengrin lui murmura ces mots d’une voix sourde :

« Voleur, ton heure est venue. Rends-toi sur-le-champ, ou je te mets à mort pour tes actes perfides. Je vais te payer maintenant. Tu n’as pas gagné grand’chose à soulever de la poussière, à faire de l’eau, à te tondre le cuir, à te frotter de graisse. Malheur à toi ! Tu m’as fait bien du mal ; tu as menti contre moi ; tu m’as arraché, un œil ; mais tu ne m’échapperas pas. Rendstoi, ou je mords ! »

Reineke se dit en lui-même :

« Cela va mal pour moi. Que dois-je faire ? Si je ne me rends pas, il me tue, et, si je me rends, je suis déshonoré à jamais. Oui, je mérite mon châtiment ; car je l’ai trop maltraité, trop gravement offensé. »

Là-dessus il essaya de douces paroles pour attendrir son ennemi.

« Cher oncle, lui dit-il, je me déclare avec joie votre vassal dès ce moment, avec tout ce que je possède. J’irai volontiers pour vous, comme pèlerin, au saint sépulcre, en terre sainte, dans toutes les églises, et j’en rapporterai des pardons en abondance. Ils serviront au bien de votre âme, et il en restera pour votre père et votre mère, afin qu’ils profitent aussi de ce bienfait dans la vie éternelle. Qui n’en a pas besoin ? Je vous honore, comme si vous étiez le pape, et je vous fais le serment le plus sacré d’être dès ce jour et pour jamais entièrement à vous avec tous mes parents. Tous ils vous serviront sans cesse. Je le jure. Ce que je ne promettrais pas au roi lui-même, je vous en fais hommage. Acceplez-le, et vous aurez un jour la souveraineté du pays. Tout ce que je sais attraper, je vous l’apporterai : oies, poules, canards et poissons, avant d’en manger moi-même la moindre part ; je vous laisserai toujours le choix, à vous, à votre femme et à vos enfants. Je veux en outre veiller assidûment sur votre vie : aucun mal’ne vous atteindra. On me dit malicieux et vous êtes fort : nous pourrons donc accomplir ensemble de grandes choses. Si nous restons unis, l’un ayant la