Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/203

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coup de sa queue, qui lui fit perdre la vue et l’ouïe. Ce n’était pas la première fois qu’il pratiquait cette ruse ; bien des animaux avaient déjà ressenti l’effet nuisible de l’eau mordante. C’est ainsi qu’il avait aveuglé les enfants d’Ysengrin, comme on l’a dit au début. Maintenant il songeait à marquer aussi le père. Lorsqu’il eut ainsi humecté les yeux de son adversaire, il s’élança de côté, se plaça au-dessus du vent, remua le sable, et chassa beaucoup de poussière dans les yeux du loup, qui se frottait et s’essuyait à la hâte, avec maladresse, et augmentait ses douleurs, Reineke savait, au contraire, manœuvrer habilement avec sa queue, pour frapper de nouveau son ennemi et l’aveugler complètement. Le loup s’en trouva fort mal. Le renard profita de son avantage : dès qu’il vit les yeux de son adversaire baignés de larmes douloureuses, il se mit en devoir de l’assaillir avec des bonds impétueux, avec des coups violents ; de l’égratigner et de le mordre, en continuant toujours de lui baigner les yeux. Le loup, à demi égaré, marchait à tâtons, et Reineke se moquait de lui plus hardiment, et disait :

« Sire loup, vous avez, je pense, avalé autrefois maint agneau innocent ; vous avez dévoré, dans votre vie, mainte bête irréprochable : j’espère qu’à l’avenir elles jouiront du repos. En tout cas, résolvez-vous à les laisser en paix, et recevez en récompense la bénédiction. Cette pénitence sera profitable à votre âme, surtout si vous attendez patiemment la fin. Pour cette fois, vous n’échapperez pas de mes mains. Vous devriez m’apaiser par vos prières ; je vous épargnerais volontiers, et je vous laisserais la vie. »

Reineke disait ces choses à la volée ; il avait saisi fortement gon ennemi à la gorge, et il espérait ainsi le vaincre. Mais Ysengrin, plus fort que lui, se secoua violemment, et, en deux coups, il se délivra. Reineke lui sauta au visage, le blessa grièvement et lui arracha un œil, Le sang lui coula le long du miii seau. Le renard s’écria ;

« Voilà ce que je voulais ! J’ai réussi. »

Le loup sanglant se désespérait ; son œil perdu le rendait furieux ; oubliant ses blessures et ses douleurs, il se jeta sur Reineke et le coucha par terre. Le renard se trouvait en fâcheux état, et sa ruse lui servait de peu. Un de ses pieds de devant,