Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/206

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puissance, et je porterai, je pense, assez facilement le poids de leur haine. Méchant, qui te plais à nuire, comme tu te moquerais de moi, si je te relâchais sur ta parole ! Qui ne te connaîtrait pas serait trompé. Tu m’as épargné, dis-tu, aujourd’hui, méchant voleur : et n’ai-je pas un œil pendant hors de la tête ? Scélérat, ne m’as-tu pas déchiré la peau en vingt endroits ? Et pouvais-je seulement reprendre haleine, quand tu avais l’avantage ? Ce serait agir follement de t’accorder, pour le dommage et l’opprobre, grâce et miséricorde. Traître, tu nous as causé, à moi et à ma femme, honte et préjudice : il t’en coûtera la vie. »

Ainsi disait le loup. Cependant le fripon avait porté son autre patte entre les cuisses de son adversaire : il le saisit par les parties sensibles, et le pressa, le tirailla cruellement…. Je n’en dis pas davantage. Le loup se mk à crier et hurler pitoyablement, la gueule béante. Reineke retira vite la patte de ses dents, qui l’avaient serrée. Avec les deux pattes, il saisit le loup toujours plus fort ; il pinça, il tira. Le loup hurlait et criait avec une telle violence, qu’il commença de cracher le sang. De douleur, il suait par tout son corps ; il fientait d’angoisse. Le renard en fut bien joyeux : maintenant il espérait de vaincre. Il tenait toujours, avec les pattes et les dents, le loup, qui sentait de grandes souffrances, de grandes tortures. Il se jugeait perdu. Le sang coulait de sa tête, de ses yeux ; il tomba par terre, ne se connaissant plus. Le renard n’aurait pas donné ce moment pour tout l’or du monde. Il tenait toujours le loup serré, le traînait, le tirait, en sorte que tout le monde voyait sa détresse ; il pinçait, pressait, mordait, égratignait le malheureux, qui, poussant des hurlements sourds, se roulait dans la poussière et dans son ordure, avec des convulsions et des gestes étranges.

Ses amis poussaient des gémissements ; ils prièrent le roi d’arrêter le combat, si tel était son plaisir, et le roi répondit :

« Si vous le jugez tous convenable, si vous désirez tous qu’il en soit ainsi, je le veux bien. »

Et le roi commanda que les deux juges du camp, Lynx et Lupardus, se rendissent auprès des deux champions ; et ils entrèrent dans la lice, et, s’adressant à Reineke vainqueur, lui dirent que c’en était assez ; que le roi désirait arrêter le combat, et voir la lutte finie.