Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/207

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« Il demande, poursuivirent-ils, que vous lui abandonniez votre ennemi, que vous laissiez la vie au vaincu. Car, si l’un des adversaires était tué dans ce combat singulier, ce serait fâcheux pour .chaque parti. Vous avez l’avantage ; petits et grands, tout le monde l’a vu. Les personnes les plus distinguées vous donnent elles-mêmes leur approbation : vous les avez gagnées pour toujours. »

Reineke répondit :

« Je leur en témoignerai ma reconnaissance. Je me soumets de bon cœur à la volonté du roi, et je fais avec plaisir ce qui convient. J’ai vaincu, et je ne souhaite pas avoir de ma vie un plus beau triomphe. Que le roi me permette seulement de consulter mes amis. » •

Alors tous les amis de Reineke s’écrièrent :

« Il nous paraît bon d’accomplir sur-le-champ la volonté du roi. »

Et tous les parents du vainqueur, le blaireau, le singe, la loutre, le castor, accoururent par troupes auprès de lui. Au nombre de ses amis furent dès lors aussi la martre, la belette ; l’hermine et l’écureuil, et beaucoup d’autres, qui l’avaient haï, qui ne voulaient pas autrefois articuler son nom, accoururent tous à lui. Il s’en trouva même qui l’avaient accusé jadis, et qui venaient comme parents, et amenaient leurs enfants et leurs femmes, grands, moyens, petits, et jusqu’aux tout petits : chacun le félicitait, le flattait et ne pouvait en linir.

Il en va toujours ainsi dans le monde. On dit à l’homme heureux : « Soyez longtemps en santé ! » 11 trouve des amis en foule. Mais, s’il tombe dans la disgrâce, qu’il prenne patience ! C’est ce qui arriva dans cette conjoncture. Chacun voulait être le plus proche et se pavaner à côté du vainqueur. Les uns jouaient de la flûte, les autres chantaient, sonnaient de la trompette ou battaient des timbales. Les amis de Rejneke lui disaient :

« Réjouissez-vous : vous avez relevé en ce moment vous et votre race. Nous étions fort affligés de vous voir succomber, mais la chance a tourné bientôt ; la pièce était excellente. »

Reineke répondit : « J’ai réussi. » Et il remercia ses partisans. Ils s’avancèrent ainsi en grand tumulte, et, à leur tète, Rei-