Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/22

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

se détachent de leur assemblage et ne sont pas remises en leur place ; si les poutres pourrissent et que la maison attende vainement de nouveaux appuis, la ville est mal administrée. Car, dans celles où les supérieurs ne font pas régner constamment l’ordre et la propreté, le bourgeois s’accoutume aisément à la sale négligence, comme le mendiant s’accoutume aussi à ses guenilles. C’est pourquoi j’ai désiré que Hermann se mît bientôt à voyager, et qu’il vît du moins Strasbourg et Francfort, et cet agréable Manheim, si régulier et gracieux. Celui qui a vu les grandes et belles cités ne se lasse jamais ensuite d’embellir sa ville natale, si petite qu’elle soit. Chez nous, l’étranger ne fait-il pas l’éloge des portes réparées, du clocher blanchi, de l’église restaurée ? Chacun ne vante-t-il pas le pavé, les aqueducs abondants, couverts, bien distribués, pour l’usage et la sûreté, afin qu’on puisse combattre le feu dès la première menace ? Tout cela ne s’est-il pas fait depuis cet affreux incendie ? J’ai été six fois, dans le conseil, inspecteur des bâtiments, et j’ai mérité l’approbation, j’ai mérité la cordiale reconnaissance des honnêtes bourgeois ; ce que j’ai proposé, je l’ai exécuté diligemment, et j’ai aussi terminé les entreprises que des hommes de bien laissaient inachevées. Ainsi la fantaisie en est enfin venue à chaque membre du conseil ; ils sont tous pleins de- zèle aujourd’hui, et déjà est fermement résolue la construction de la nouvelle chaussée, qui nous relie avec la grande route. Mais je crains fort que la jeunesse n’agisse pas de même. Les uns ne pensent qu’au plaisir et à la fragile parure ; les autres se claquemurent à la maison et se blottissent derrière le poêle, et voilà, je le crains, ce que notre Hermann sera toujours.

La bonne et sage mère répondit aussitôt :

« Père, tu es toujours injuste envers ton fils, et ce n’est pas ainsi que ton désir du bien sera réalisé. Nous ne pouvons pas former nos enfants selon nos vues : nous devons les recevoir et les aimer tels que Dieu nous les a donnés ; les élever pour le mieux et laisser à chacun sa liberté. Ceux-ci possèdent certaines qualités, ceux-là gn ont d’autres. Chacun les met en usage, et chacun n’est heureux et bon qu’à sa manière. Je ne veux pas que l’on querelle mon Hermann, car je sais qu’il mérite les biens dont il doit hériter un jour ; c’est un excellent économe.